DISSONANCES #44 SILENCES

mai 202364 pages / 8 euros
mise en images : Kader BENAMER

ÉDITO : LE BRUIT ET L’HONNEUR

Il y a les silences immobiles et ceux dont on fait les refus d’obtempérer, les envies de tout sauf de se soumettre. Il y a les mutismes fiers et les bouches obstruées par l’indignité d’un exercice apeuré du pouvoir. Il y a la main plaquée sur vos lèvres pendant qu’on se rétribue avec votre corps, il y a les ministres qui restent en place et ne font pas de commentaires. Il y a la somme des cris de rage ou d’espoir, des douleurs rendues silencieuses par une mise en scène de la surdité. On nous l’a assez répété à l’école : on écoute et on ne conteste pas, on obéit, on suit, on comprend ou pas, on fait semblant de noter ou on dort les yeux ouverts, peu importe, du moment qu’on le fait en silence. Il suffit d’écouter le calme des isoloirs, silence primal qui engendrera tous les autres : maintenant que vous avez fait un choix on ne veut plus vous entendre jusqu’à la prochaine fois, compris ? On vous l’a déjà dit : asseyez-vous en silence, on ne veut pas vous entendre. Un pays qui se tient sage est un pays qui se tait.
Alors prenons la parole, usons de mots silencieux mais emplis de voix, de songes, de réflexions, de dialogues et d’exclamations fracassantes. Parce que dans la quiétude de la littérature résident les musiques qu’on s’invente, des tourments infinis et, surtout, les plus belles révoltes.

Alban LÉCUYER

DOSSIER « CRÉATION » : SILENCES

Barbara ALBECK  : Les blancs dans les silences
« Détruire saALBECK pour le voirALBECK ses boules auALBECK de dire qu’il ne fait pasALBECK je l’ai déjà tellementALBECK que je ne compte plus lesALBECK alorsALBECK forcément ce moment où onALBECK en général longtempsALBECK on remballe colère les… »

Florent ARC  : Quelque part au Canada
« Le propriétaire regarde le ciel, les nuages noirs et gonflés sur le point de crever, et dit : « M’est avis que ça va péter. » / Tu ne réponds pas. La fournaise a consumé les derniers jours, il fallait bien que ça finisse par craquer, que les choses se terminent. Il n’y a… »

Pascal ARNAUD : Soheila
« Sur l’image / la première image / la première fraction de seconde / du plan fixe qui durera 53 secondes / un homme / grand costaud barbu brun cheveux courts / blouson ou sweat noir, pantalon ou treillis gris / le tout se précisera au fur et à… »

Jean-Christophe BELLEVEAUX  : Et le bruit finira
« Je vais tomber. Tais-toi. Les ciels. Les ciels ! Pas besoin de parler. Tais-toi. C’est ce que je dis. Mais j’ai du mal avec mon futur : les ciels, quand le soleil ivre-mort sombre rouge derrière les hangars, ou ces camaïeux gris bleus, sans moi. Tais-toi. La violence aussi, dont… »

Romain GIORDAN : Ce que je tais
« j’écris beaucoup / dans ma tête / mais peu / avec mes mains / je rêve souvent / qu’un homme / avec une oreille jaune / me court après / je me suis déjà / réjoui / de voir quelqu’un / saigner du nez / lorsqu’au réveil / je n’arrive pas / à noter / un rêve / que… »

Pierre GONDRAN DIT REMOUX : Bronze et or
« grouillent soudain des dos aux larges écailles bronze et or • les carpes aux lèvres jaunes ornées de barbillons frétillants roulent les unes sur les autres happant le vide asphyxique elles étouffent d’air el les étouffent d’eau gargouillent de mucus parlent la… »

Corinne GRANDEMANGE : K-O – sans mots –
« Elle a pris un gnon de crabe dans la gueule. Plus précisément du côté gauche du visage. Une espèce d’affaissement qui détache l’œil du reste, un peu comme une flaque d’eau qui aurait rétréci en peau de chagrin. La joue maigre ne soutient plus la… »

Léo J. GUERRIER  : À portée de doigts
« Autour du feu de camp nos discussions s’échardent – debout assis quelle que soit la position ça n’est pas viable il faut que je bouge – je pars : je pars – je reviendrai peut-être en courant – et pourquoi faire, pour dire un certain flot, je ne sais même pas… »

Lucie HEDER : Réduire au silence
« Je pose une rivière devant vous. C’est votre rivière. Elle peut être votre idéal de rivière comme la première rivière qui vous passe par la tête. Elle peut être brune, grise, noire, verte, bleue. Elle peut tirer sur le orange voire sur le jaune. Elle peut être… »

Kevin HENOCQ : Abruptosor, vent
« enfoncé dans le canapé / des caresses sur les bras / pendant que de sa bouche elle confie qu’elle / a eu quelqu’un d’autre dans sa bouche / avant qu’enfoncé en elle, un autre soit / l’autre buvard / ça commence par un durcissement là où je… »

Margaux LALLEMANT : Avaler comme une bille
« Je passe j’entends les rires des murs vides / j’ai dans la gorge une larme qui ne se laisse pas remonter. je la pends à ma glotte et déglutis – à qui rira le dernier – j’engloutis les réponses aux questions que tu ne poses pas / j’avale : / 1) la mort / (peut… »

Yann LEBLANC  : En silences
« La vieillesse, peu à peu, l’avait privé de tout. Alors il passait le plus clair de son temps assis sous le grand porche, en silence, le menton reposant sur sa main calleuse comme si ces deux parties de son corps avaient adhéré l’une à l’autre. Plus d’alcool. Lorsqu’un… »

Mathieu LE MORVAN : Orphée aux alpages
« J’ai repris le chemin d’autrefois, tu vois. // (…) // Au printemps, les torrents se font gros, ils dévalent en bouillon vers la rivière. Jusqu’au mois de juin nous longeons des névés. // Il y a là une vue qui porte assez loin, par-delà la vallée, et jusqu’aux sommets d’un… »

Anne-Lise MAURICE  : Sept fois dans la bouche
« — 1 / au début le garder toujours le doigt / de maman sur ma bouche / parfaite au visage porcelaine / la poupée qui ne dit // au bord des lèvres l’envie / de mordre à pleine dents /
la soupe à la grimace / dans la porcelaine brisée // a-t-on… »

Nadège MÉNASSIER  : Vie secrète
« C’est l’été. / Il fait très chaud cette année, une vague de canicule embrase le continent. À la radio, on entend que la Russie est en feu, des incendies propagent leurs fumées noires dans Moscou où les nuits deviennent « tropicales » et les gens meurent à des taux… »

Mona MESSINE : Ouate et tonnerre
« Il est huit heures, vous sortez de chez vous. Le froid possède une odeur. Sur votre route, au milieu de la ville, il y a les gens qui hurlent ou qui chouinent, il y a les chaussures qui chuintent sur le trottoir et le mot « bitume » qui ne sort pas de votre gorge. Il y a… »

Marthe OMÉ : Vous êtes ici
« Vous rêvez d’ailleurs / un proche vous l’a dit / c’est mieux ailleurs / vous avez goûté à l’exil / sur votre peau / dans vos nerfs / dans votre manteau de chair où vous n’habitez plus que la nuit / des souvenirs assis en rond sur le sol / une langue frémissante au… »

Perle VALLENS : Rien (à dire)
« quelque part l’air se verrouille // pas même murmure / mais muré. demeuré. dans un repli. // bruits rouillés / )rompus( / )brouillon d’avant la parole( // Garder silence c’est : renoncer / : facteur d’inertie / : mise à distance / (personne n’essaie de parler) // entre… »

Stéphanie VERMOT-PETIT-OUTHENIN : Prescription(s)
« Ne rien direà personnemon fils : le silence, c’est le nerf de la guerre, tu sais, / disait chaque fois mon père, / après. / Et moi j’imaginais une grande plaine désertée des hommes et trouée d’obus, s’y noyaient les restes d’un ciel de boue, ne la… »

IMAGES : Kader BENAMER

« Lorsque Dissonances m’a proposé de mettre en images le thème de son numéro futur, me demandant d’exprimer des « silences » par mes photographies, ma satisfaction première a vite laissé place à une sensation proche de l’angoisse de… »

RUBRIQUES « CRITIQUE »

DISSECTION (24 questions à un.e auteur.e connu.e) :
Jean-Christophe BELLEVEAUX

« Où vous êtes-vous senti le mieux ?
Sur l’île de Samosir, au milieu du plus grand lac de cratère au monde (lac Toba), il y a environ 35 ans ; le tourisme l’a fatalement abîmé depuis. Sur l’île de… »

DISJONCTION (4 regards croisés sur un livre remarquable)  :
Vous n’étiez pas là (Alban LEFRANC)
« Comment écrire la biographie de quelqu’un de surexposé, dont le mythe est constitué de milliers d’images rabâchées ? Comment révéler que l’icône n’est pas unidimensionnelle ? Alban Lefranc choisit de décliner les différentes altérités de ce je qui… »

DISSIDENCES (8 coups-de-cœur de lecture en domaine francophone)  :
Patrick AUTRÉAUX
 : Pussyboy (éd. Verdier)
« Ç’aurait pu n’être que le récit (rencontre, montée, descente) d’une liaison charnelle entre deux jeunes hommes, et rien que ça sans doute (qui quoique devenu relativement courant reste minoritaire dans le champ littéraire) aurait peut-être suffi à faire que Pussyboy mérite… »
Adrien LAFILLE
 : Milieu (éd. Vanloo)
« D’accord, il y a le joli motif initial : chaque jour, Violette fait signe à Antoine et son chien, mais un matin, plus de chien, donc plus de signe et l’homme quitte le récit sur cette tristesse. Elle, elle reste, seule, puis avec Lucie, pour une déroutante « attente… »
Sylvain LEVEY : La fête à venir (éd. Rue de l’échiquier)
« On est dans les Combrailles, entre l’Auvergne et le Limousin, mais il pourrait s’agir de n’importe quel autre paysage périurbain. « La meuf », comme la désignent les garçons du bahut, rêve de reprendre la ferme familiale mais voilà, on n’envisage pas une femme… »
Matthieu LORIN : Souvenirs et grillages (éd. Sous le Sceau du Tabellion)
« « Coupe le grillage des mots avec une pince et écarte-le comme on le fait des entrailles du loup dans les contes. Tu y liras mon avenir. Car les augures ont changé : aujourd’hui on découvre le futur dans les poèmes éventrés. » Elle émerge, cette œuvre, comme… »
Émilienne MALFATTO : Le colonel ne dort pas (éd. du sous-sol)
« Une ville, une guerre, un général, une opération militaire bien nommée « Reconquête », et un palais où un « colonel arrive un matin froid et ce jour-là il commence à pleuvoir. » Ce colonel est un spécialiste, un technicien hors-pair, capable d’extirper… »
Sébastien MÉNARD : Quelque chose que je rends à la terre (éd. publie.net)
« Le zen, le temps, « la vie bonne, une langue de hasard et d’errance », la nature fugace et frustrante de la poésie elle-même, mais chercher, voilà, m’a-t-il semblé, le principe au cœur de ce recueil cohérent et délicat. Chercher, mais pas n’importe où : dans… »
Milène TOURNIER : Se coltiner grandir (éd. Lurlure)
« Se coltiner grandir, troisième recueil publié aux éditions Lurlure par Milène Tournier, « poésie pas trop loin de l’autobiographie, même si celles-ci, souvent, se chassent comme des sœurs », se donne à lire dans une langue qui sait porter la densité et l’ambiguïté d’une… »
Thomas VINAU : Le cœur pur du barbare (éd. Le castor astral)
« Thomas Vinau c’est à lire le matin, ou plutôt à chaque fois qu’on le lit on a l’impression que c’est le matin, un matin pas pressé ni insomnieux, un dimanche matin sans la messe peut-être, en tous cas un matin sans urgences, un matin de vacances. Voilà : lire sa… »

D’ISTANBUL À RIO (4 coups-de-cœur de lecture en domaine étranger) :
Fadhil AL-AZZAWI : Faiseur de miracles (éd. des Lisières)
« « Moi le magicien, agent des âmes errantes, moi le faiseur de miracles », ainsi se définit Fadhil Al-Azzawi, poète irakien exilé contemplant «  le monde venu poser son cœur dans [sa] main / brûlant [ses] doigts / comme de la braise / scellée de sang humain / dans… »
Takeo ARISHIMA : Cette femme-là (éd. Sillage)
« Paru en 1998 sous le titre Les Jours de Yôko aux éditions Philippe Picquier, le roman de Takeo Arishima revient chez Sillage dans une traduction corrigée et augmentée d’un intéressant (quoique fort court) appareil critique. / L’auteur propose le portrait étonnamment… »
Lawrence FERLINGHETTI : Poésie, art de l’insurrection (éd. maelstrÖm reEvolution)
« Lawrence Ferlinghetti (1919-2021), peintre, poète et éditeur américain de la Beat Generation, fondateur de la mythique librairie City Lights, a laissé une œuvre intense et régulièrement engagée dans les grands débats sociaux. / Ainsi, Poésie, art de l’insurrection se… »
María PAZ GUERRERO : Dieu aussi est une chienne (éd. Dernier Télégramme)
« María Paz Guerrero est née en 1982 à Bogota, en Colombie. Elle a publié plusieurs recueils de poésie. Elle prépare actuellement un doctorat à l’Université de Saragosse, en Espagne, et enseigne l’écriture créative au département de Création littéraire de l’… »

DI(S)GRESSION (carte blanche sur un domaine autre que la littérature)
Antoinette BOIS DE CHESNE  : 452 grammes (Psittacus erithacus)
« # la demande / ça faisait longtemps qu’il voulait un perroquet. Un rêve de gosse, de pirate et de voyageur. Tu as dit oui. Pleine d’innocence. Ou d’ignorance. Sans savoir que l’animal te choisirait toi. Élue d’un royaume inconnu. // # parce qu’il vient tout droit de… »

DYSCHRONIE (saison 6)
Jean-Marc FLAPP : Hiver 2022
« 1er septembre : J’attrape le relai que m’a lancé Romain encore plus excité qu’il ne l’est d’ordinaire (ce qui n’est pas peu dire…) car décollage en vue direction Paraguay pour Agapes Tropicales jusqu’au Printemps Prochain ! On lui souhaite Bon Vent (et… »

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