HEDER Lucie (extraits)

DISSONANCES #44 | SILENCES
Réduire au silence

« Je pose une rivière devant vous. C’est votre rivière. Elle peut être votre idéal de rivière comme la première rivière qui vous passe par la tête. Elle peut être brune, grise, noire, verte, bleue. Elle peut tirer sur le orange voire sur le jaune. Elle peut être bruyante au point de tout assourdir autour de vous. Elle peut être silencieuse, comme une longue langue calme qui aurait avalé tous les bruits alentour. Ses pierres peuvent être blanches. Elle peut avoir de la boue à la place des pierres. Elle peut charrier de petites feuilles rondes. Elle peut serpenter entre de grandes herbes aux bords lisses et durs. Son couvert peut être dense. Elle peut couler sur une terre nue. C’est votre rivière.
Je pose une Elle sur vous. Je force sur votre visage des traits qui ne sont pas les vôtres. Vous sentez une rondeur, une raideur inhabituelle dans votre nez. L’arc de votre sourcil vous semble trop haut. Il est beaucoup trop bas par rapport à d’habitude. La bouche est trop menue. La bouche est trop remplie. Les poils se sont évanouis. Ils se sont multipliés. Ils se sont déplacés. Ils se sont raréfiés. Ils se sont allongés. Vous vous identifiez à cette Elle que je force sur vous. Vous mettez vos querelles de côté. Ce que vous avez en trop. Ce qui vous manque. Vous vous… »