TOURNIER Milène | Se coltiner grandir

Coup-de-cœur de Justine ARNAL pour Se coltiner grandir de Milène TOURNIER
DISSONANCES #44

Se coltiner grandir, troisième recueil publié aux éditions Lurlure par Milène Tournier, « poésie pas trop loin de l’autobiographie, même si celles-ci, souvent, se chassent comme des sœurs », se donne à lire dans une langue qui sait porter la densité et l’ambiguïté d’une écriture constituée dans et à partir de la matière des souvenirs. Tantôt se ramasse sur une page une kyrielle de tout petits poèmes à la concision roborative, mémorable et drôlatique («  Mon corps qui hésite / entre Jésus et jouir »), tantôt s’y déplient des textes plus amples et plus narratifs.
Les 12 parties du recueil déclinent par fragments les étapes du parcours initiatique de ce que c’est, se coltiner grandir, et les secousses sismiques surmontées, de la naissance prématurée aux premiers deuils.
Au fil de la lecture, Tournier nous fait traverser l’attachement aux morceaux de père et mère auxquels il faut s’arracher, revisiter des contes, prendre des bains de vie de ville, voir les plaies des premiers amours dans lesquelles il est si difficile de s’empêcher de remettre les doigts, entrer dans les distorsions infantiles entre jeu et réalité, avec leurs théories singulières inventées lorsque la compréhension de la mort advient et qu’il faut bien trouver comment s’en débrouiller : « Dans ma tête ce qui était prévu / Pour la vie grosso modo / C’était que l’écriture allait / Me sauver de l’amour qui allait / Me sauver de l’écriture ».
Il y a une simplicité ébouriffée, décousue et lumineuse, dans la poésie de Tournier qui saisit le désordre et la fragilité de l’être voué à abriter et conjuguer en lui tous les temps à la fois. L’autrice nous offre ici un recueil-récolte-maraude du vivant où le devenir se hisse sur le revenir.

éd. Lurlure, 2022
216 pages
21 €