GRANDEMANGE Corinne (extraits)

DISSONANCES #44 | SILENCES
K-O – sans mots –

« Elle a pris un gnon de crabe dans la gueule. Plus précisément du côté gauche du visage. Une espèce d’affaissement qui détache l’œil du reste, un peu comme une flaque d’au qui aurait rétréci en peau de chagrin. La joue maigre ne soutient plus la lassitude de vivre. Et puis dans la posture, elle dit qu’elle n’a pas maigri. Elle a juste diminué de moitié. En marge sur la longueur et la largeur. Elle s’est recroquevillée dans une ultime lutte à vivre, à se survivre, un rien fœtal.
Ce sera certainement son dernier noël. Ce sera la dernière année. Elle le sait. Moi aussi. Mais toutes les deux, on n’est pas encore capable d’en parler, même pas de se le toucher, se l’enlacer, se le protéger pour le faire durer, le border de doux, un peu moins de peur. Elle a pris un gnon à l’âme et cette femme est dans une décence sans larmes, à ne savoir que dire de sa mort à venir. Je me tiens à ses côtés quand le fait d’être juste en vie me laisse dans une aphasie sidérée.
Le soir, blottie au fond du lit, je pense aux absurdités dites et écrites sur la beauté du silence. Les cloisons de nos chambres ne sont pas contiguës. Pourtant j’entends son cœur qui cogne, pétrifié dans le noir. Elle n’éteint plus la lumière depuis longtemps parce… »