VERMOT-PETIT-OUTHENIN Stéphanie (extraits)

DISSONANCES #46 | FRAGILE
Oui mais

« Un jour pendant des vacances j’étais petite je crois
j’ai posé un seau à l’envers sur une araignée noire Ne voulais pas lui faire de mal Sa vue me faisait peur Oui mais Pas question de l’écraser
Oui mais
Savoir qu’elle était là
Que je ne pouvais pas l’approcher La tuer L’effacer Encore moins l’ignorer Qu’elle ne partirait pas Pourrait à tout moment Grimper sur moi Me mordre Enfoncer ses crochets Pondre ses œufs dans mes oreilles
Oui mais
savoir
qu’au monde il n’y avait plus qu’elle et moi
Blanche de voix lourde de cœur je n’étais plus que Elle noire de poil le souffle furtif de ses pattes frêles presque une esquisse ou bien… »

DISSONANCES #45 | TOXIQUE
Ruta graveolens

« Bien sûr qu’elle y croit, au ciel : à sa manière. Elle dit. Elle a accepté de répondre aux questions, de se tenir face aux juges, elle a été surprise qu’on lui demande de rester debout. Toute sa vie, elle dit, elle s’est efforcée de s’assoir à la bonne place : celle qu’on lui indiquait. Toute sa vie elle s’est assise, c’est ça qu’on apprenait aux filles :
être polie,
bien éduquée,
rester à sa place.
C’était pas seulement, elle dit, une question de s’assoir ou pas. Il y a un tas de façons de s’assoir, non. Et le ciel, alors ? Ah, oui. Je l’avais oublié, celui-là. Elle dit, les yeux levés : le ciel, c’est vague, ça veut rien dire, le ciel.
On lui a demandé d’aller à la barre, elle est allée à la barre. On lui a demandé de se tenir tranquille, elle s’est tenue tranquille. On lui a dit de quoi on l’accusait, elle a demandé si elle pouvait rester debout.
Elle dit que toute sa vie, elle a eu l’impression d’être une sorte d’… »

DISSONANCES #44 | SILENCES
Prescription(s)

« Ne rien dire
à personne
mon fils :
le silence, c’est le nerf de la guerre,
tu sais,
disait chaque fois mon père,
après.
Et moi j’imaginais une grande plaine désertée des hommes et trouée d’obus, s’y noyaient les restes d’un ciel de boue, ne la délimitait aucun horizon : la plaine s’installait dans ma poitrine, il faisait suffisamment froid pour qu’elle s’y sente bien, j’abritais les obus défonçant par surprise la terre encore dans sa position de fœtus et pourtant je ne pouvais pas entendre la déflagration, je sentais le danger sans pouvoir le nommer,
silence.
J’étais moi-même un champ de bataille, un soldat gesticulant dans sa… »