LAFILLE Adrien | Milieu

Coup-de-cœur de Nicolas LE GOLVAN pour Milieu de Adrien LAFILLE
DISSONANCES #44

D’accord, il y a le joli motif initial : chaque jour, Violette fait signe à Antoine et son chien, mais un matin, plus de chien, donc plus de signe et l’homme quitte le récit sur cette tristesse. Elle, elle reste, seule, puis avec Lucie, pour une déroutante « attente pure. »
« Lorsqu’on pense on ne peut pas attendre et voilà tout le problème. Attendre c’est attendre et ce n’est rien d’autre. Si elles pensaient elles trouveraient quelque chose à attendre… » Bon, d’accord.
Mais parfois un texte tourne et hante comme un lait caillé, tant sa machine échappe. Sa loi déjoue mon propre contre-récit de lecteur encodé, et c’est bien là le suc littéraire, non ?
J’ai longtemps médité sur les ressorts de cette non-histoire qui pourtant va, pour déverrouiller un peu son impératif, moins kantien que quantique.
Ainsi, dans une cosmogonie enfantine resserrée autour du renard, du pont, du village, elles disent peu, se taisent surtout, agissent avec la violence des injonctions catégoriques. «  Quelque chose qui arrive une fois c’est un accident. Quelque chose qui arrive deux fois ça ne va pas.  » À trop m’écouter, leur réclusion ferait vite pathologique : « Un jour Lucie a répété au moins mille fois le mot pomme. Elle pouvait répéter pomme puisque ce mot ne la dérangeait pas.  » Seulement, à me déprendre assez, à me rendre simple d’esprit et me jouvencer, je comprends que « c’est comme ça. »
Ce petit rien de texte est une jolie leçon de ténèbres littéraires, un exercice brutal d’humilité critique : « C’était du silence leur vie. Ça disait rien, c’était zéro dans le dire. Faire la maison oui, dire de la maison non. Échanger un baiser oui, dire du baiser non. » Alors oui, d’accord.

éd. Vanloo, 2021
104 pages
16 €