MALFATTO Émilienne | Le colonel ne dort pas

Coup-de-cœur d’Anne VIVIER pour Le colonel ne dort pas d’Émilienne MALFATTO
DISSONANCES #44

Une ville, une guerre, un général, une opération militaire bien nommée « Reconquête », et un palais où un «  colonel arrive un matin froid et ce jour-là il commence à pleuvoir. » Ce colonel est un spécialiste, un technicien hors-pair, capable d’extirper n’importe quel secret à n’importe quel ennemi. Mais sa présence professionnelle et hantée détraque insidieusement le bel élan guerrier de la ville assiégée, plonge le commandement dans le chaos, la ville dans la grisaille et la reconquête dans le statu quo. Des fissures suinte la peur. Jusqu’au jour où, lors d’une séance, le «  regard tranquille qui tranche sur le visage détruit » de l’homme que le colonel cherche à faire parler fait dévier la trajectoire…
Le livre alterne les pensées nocturnes du colonel insomniaque qui, dans un long poème, semble accueillir les fantômes de ses victimes passées, et le récit de la désagrégation de l’opération militaire. Le colonel ne dort pas est un bien étrange texte et un bien étrange sujet. Émilienne Malfatto séduit instantanément par son écriture somptueuse, incisive, spontanée et cinématographique. On pense d’ailleurs à Seven avec cette pluie perpétuelle qui accompagne l’arrivée du mal, ou encore aux fantômes pâles de Kiyoshi Kurosawa. Cette écriture en liberté, d’une grande puissance visuelle, fait émerger, au milieu du marasme glaçant, des bulles de fantastique, dérapages burlesques révélateurs de l’absurdité de la situation. « Depuis sa rencontre avec le buste décapité, le général a cessé de jouer aux échecs. »
Le colonel ne dort pas est un immense petit livre, une fresque miniature qui vous hantera comme il me hante depuis des semaines.

éd. du sous-sol, 2022
112 pages
16 €