octobre 2023 / 64 pages / 8 euros
mise en images : Armelle LE GOLVAN
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ÉDITO : DÉLICES AU POISON
Toxique, précise mon cher Littré dans sa poésie toujours désinvolte, vient du grec τοξιϰὸν (poison), de τόξον (arc), à cause que les poisons servaient à empoisonner les flèches. Qu’elles soient intimes ou globales, morales ou environnementales, ce sont ces flèches qui nous ont ici fascinés, le moyen plus que l’effet, qu’elles filent dans l’air ou dans les mots, dans le geste concret de l’empoisonneur – qu’il soit apothicaire ou multinationale – comme dans le miel métaphorique et vicié masquant l’amertume que tartine au café du matin une mère inadéquate, un père égaré, un aimé qui n’aime plus – ou mal…
Dans le toxique, il y a aussi une dualité profonde, une ambiguïté qui défie toute classification. Source d’attraction et de répulsion, tension constante entre plaisir et douleur, il est à la fois symptôme de notre âge du Tout, tout de suite, et de notre insatisfaction chronique : lorsque nous plongeons volontairement (ou tout au moins en pleine connaissance de cause) dans le toxique de nos addictions ou de nos relations, c’est à notre propre vulnérabilité que nous sommes confrontés, à ce désir aussi grisant qu’irrationnel pour ce qui nuit – au corps comme au cœur.
Magistralement accompagnés par Armelle Le Golvan les dix-neuf auteurs de ce DissoToxique ont su nous concocter chacun à sa façon de vénéneuses merveilles nous rappelant que la vie, souvent, se joue dans les zones grises.
Ingrid S. KIM
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DOSSIER « CRÉATION » : TOXIQUE
Pascal ARNAUD : Des gravats dans le bortsch
« KHERSON sable le marchand de sable / ODESSA sable n’a plus le temps pour les enfants / KYIV sable il remplit des sacs des sacs des sacs / KHARKIV sable et les empile face et pile / ORIKIV sable la vie se joue à pile ou face // lance-roquettes Smerch BM-30 ▸ lance… »
Anna AYANOGLOU : Cartographie d’une aversion [Endormie]
« I // Je rêve et c’est le jour – un jour qui ressemble / à une viande crue, grise déjà // Vers le lieu imposé du travail, je remonte / le boulevard Léopold II – plus abrupt / et plus large qu’en réalité // Face à l’amas – béton, pierre, nulle terre / où racines, je me… »
Jean-Christophe BELLEVEAUX : Dimanche soir, face B
« comme une fleur, un fruit vénéneux, comme les corps suppliciés, la fièvre, les alcools tempestifs, comme une très noire magie, une purulence, lente gangrène, suppuration, pluie acide // le scalpel de la pensée balafre // regarde les mots qui suintent, presque on… »
Julien BOUTREUX : Herbier des poisons mortels
« ACONIT // Commune dans les lieux humides englués de pénombre et de vibrations morbides, cette renonculacée se développe en hautes touffes de feuilles vert sombre. Ses fleurs violettes disposées en grappe évoquent un casque prussien. Sa racine est un… »
Pierre BRAULT : Structures amorphes
« Ça tape. Ça tape. Ça tape fort dans les oreilles. Il est 7 heures. Les bouchers d’en dessous commencent à mêler leurs forces au flux métallique du faubourg Saint-Denis. Je les entends et ma mémoire me rappelle leurs gestes. Ça part d’en haut. Coude… »
Arthur BRIFFAULT : Acide amer
« Igor Letov (1964-2008) est un des pionniers (et un personnage central) du punk-rock soviétique puis russe. // Un million de fourmis qui grouillent dans les steppes de Sibérie Occidentale. Vu du ciel, un point gris qui vit de l’or noir. Là, c’est Omsk. Et là, un…
Patricia FAVREAU : Gouttes
« J’observe / Cela – je le peux encore // Une goutte transparente / Se détache / Vénéneuse / Tombe / Indolore / S’infiltre / Curative / M’envahit / Destructrice / Gagne tout mon corps / Dans le paradoxe // Je compte / Cela – je le peux encore // Deux… »
Marc GRACIANO : La mandragore
« Il allait à la borde chercher le grand livre dans sa niche poussiéreuse, qu’il portait péniblement jusqu’à la table de pierre à l’extérieur, à cause qu’il n’aurait plus désormais pris le risque de l’ouvrir dans l’ombre, et de devoir l’éclairer avec sa lampe, et faire… »
Philippe GUERRY : Poison lent
« L’habituation au travail procède par une lente précoce et constante mithridatisation. L’habituation au travail procède par autorité parentale par instruction par inscription par renouvellement d’inscription par formulaire par assurance par adhésion. L’… »
Mathieu LE MORVAN : La galerie de minéralogie
« il y a devant la galerie / de minéralogie / toutes sortes de roses / extravagantes / comme des quartz // elles ont éclaté autour / de nous ces roses / silicates / ivres de leur barbante / perfection // le parfum de leur vie trop vive / nous intoxique / – comme… »
Loïc PERELA : Augmenté
« Augmenté veut dire expansion cybernétique veut dire corps en continu vers des datas en vagues en ondes en échos au-delà de nos chairs et de nos constructions mentales. Veut dire que moi je ne suis pas assez veut dire que j’ai besoin de ma béquille. Que… »
Augustin PETIT : V.il.L.age vac.A.nces fa.M.ille (là où tout commence)®
« Pour éviter mauvais traitements lire attentivement la notice // VLAM ! / In extremis / Rattrapée par les cheveux par le père / Sans quoi c’était tronche tranchée par radiateur / SCHLAC ! / Du dos de la main / Pour valse côté porte / Couloir étroit / Pas se… »
Mehdi PRÉVOT : Bagarre
« Il sont noirs tes yeux, je ne les avais jamais vus aussi noirs / Tu me fais peur – / – j’aime me lover dans cette peur // Le rhum, encore une fois – a ouvert une nuit en toi / Une nuit de colère – noire / dont tes yeux ruissellent // Mes étés tristes de petit garçon à… »
Manuel REYNAUD GUIDEAU : Oil Fields
« La plaine était et est encore sous le grand ciel. Grande aussi, la plaine, vert radiant. Les troupeaux sauvages faisaient résonner, sous leurs sabots et leurs laines déchiquetées, l’immensité ondoyante. Les troupeaux de bustes et de cornes ne sont plus. De longues… »
Louis RONSIN : Descente
« Début de la quatrième nuit. B. a les yeux rouges. Dès qu’il les ferme, son cœur, son foie, sa gorge et ses poumons le rappellent à la froide réalité. Ses bras lui semblent fragiles et légers, comme si sa peau n’abritait que de l’air. À l’aube de la première nuit, B. était… »
Marc TISON : ZAC
« Les faces de mickeys sur les pubs Decaux / Vantent la bouffe d’usine du drive de merde / Des hamburgers d’os et de tendons // Les palmiers la mer incrustés sur les enseignes / La zone commerciale défonce les rêves // Il reste trois arbres comme… »
Perle VALLENS : Toxicatio
« Les tentatives vaines de l’empoisonneur / les tentatives tentatives redondantes tentatives redoublent le doute / les tentatives rebroussées lui éviteraient / son propre décès par pendaison // c’est un métier de donner la mort / par substance… »
Stéphanie VERMOT-PETIT-OUTHENIN : Ruta graveolens
« Bien sûr qu’elle y croit, au ciel : à sa manière. Elle dit. Elle a accepté de répondre aux questions, de se tenir face aux juges, elle a été surprise qu’on lui demande de rester debout. Toute sa vie, elle dit, elle s’est efforcée de s’assoir à la bonne place : celle qu’on… »
Gaston VIEUJEUX : Infiltrés
« nitrates et phosphates / qu’ils sortent l’air hautain / en costume cravate / d’une usine à zinzins / ou pour les plus modestes / du cul des intestins / en espérant la sieste / et la fosse à purin / nitrates et phosphates / partent à quatre pattes / vers la mer sauront-ils… »
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IMAGES : Armelle LE GOLVAN
« « Dessiner, coller, peindre, écrire et chanter » : voici ce que j’ai écrit pour me présenter sur les réseaux sociaux. Dans la vraie vie, j’enseigne en maternelle, ce qui signifie « Dessiner, coller, peindre, écrire et chanter ». Toutes mes créations sont… »
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RUBRIQUES « CRITIQUE »
DISSECTION (24 questions à un.e auteur.e connu.e) :
Tristan FELIX
« Qu’est-ce qui vous anime ?
Le fait que je suis mortelle ; donc c’est l’instinct de survie, l’inconnu ; aussi l’envie d’en découdre par la réflexion, le rêve et le rire avec l’inanité mortifère de toute… »
DISJONCTION (4 regards croisés sur un livre remarquable) :
Nom (Constance DEBRÉ)
« Le roman s’ouvre sur un compte rendu précis et impassible des premiers instants qui suivent le décès du père de l’autrice. C’est factuel, sec, froid. Cette mort constitue l’axe central autour duquel gravite le roman, l’évènement qui achève une entreprise de… »
DISSIDENCES (8 coups-de-cœur de lecture en domaine francophone) :
BAYA : Mémoires effondrées (éd. Rue de l’échiquier)
« Mémoires effondrées retrace les 64 années d’existence d’Antoine Donelli, célèbre comédien fictif né en 1980 et décédé en 2044. Après sa mort, son fils retrouve des carnets illustrés dans lesquels il partage ses réflexions sur le deuil, le rapport à l’argent, le… »
Christophe FOURVEL : On dira qu’on a gagné (éd. Médiapop)
« « Encensons la passion du football comme certains écrivains ont su le faire des stupéfiants ou de l’alcool ; comme une descente dans le plus bas de soi qui possède la beauté reflétée des soleils noirs. » Dans ce court essai parsemé de… »
Claudine HUNAULT : Je me petit-suicide au chocolat (éd. Le nouvel Attila)
« Claudine Hunault a passé dix ans à recevoir des milliers de patients dans un centre dédié à l’obésité ; Je me petit-suicide au chocolat est un livre tissé à partir de toutes ces paroles entendues et de ces récits de vie. C’est « à la psychanalyse, et à… »
Jean-Michel MAUBERT : Le sacrifice du géomètre (éd. Sinope)
« J.M. Maubert, traqué par des instances narratives qui ne se manifestent que chez lui (lire Décombres, 2021), poursuit son œuvre singulière – labyrinthique, non tant par son ampleur que par sa densité hallucinatoire, ses bifurcations et ses… »
Blaise NDALA : Sans capote ni kalachnikov (éd. Mémoire d’encrier)
« Il y a l’Afrique, un pays imaginaire pauvre, bourré de diamants et de coltan, une guerre puis un traité de paix, un camp de démobilisation et un hôpital. Il y a ensuite Fourmi rouge, ex-enfant soldat, son cousin Corneille, un humanitaire basque, une… »
Pascale PETIT : Pas de printemps pour Acapulco (éd. Série discrète)
« Ce n’est pas parce que j’ai enfin acheté le livre élu à ma lecture, parce que j’ai assez picoré en ligne le prémâché critique toujours existant (si j’étais plus paresseux, tiens, je te copierais, car aucun livre n’est vierge de prolégomènes parasites, celui-ci… »
Nathalie QUINTANE : Un hamster à l’école (éd. La fabrique)
« Avouer d’emblée le plaisir rare et infiniment jubilatoire procuré par Un hamster à l’école. Avouer, oui, car on a toutes et tous été élèves à défaut d’être profs, et parfois les deux : « 53 ans que, élève, étudiante, enseignante, je suis dans l’… »
Émilien ROUVIER : Journal d’ascétisme (éd. du Chemin de fer)
« En nos temps si chargés d’hystéries collectives (angoisses en tous genres et autres ressentiments) dont l’électricité à très haute tension crépite dans un air poisseux et raréfié chaque jour plus toxique, voici un petit livre qui fait beaucoup de bien : c’est… »
D’ISTANBUL À RIO (4 coups-de-cœur de lecture en domaine étranger) :
Alexandre BLOK : Les Douze (éd. Mesures)
« « Le vent fait la fête, la neige tournoie, / Douze hommes marchent dans le noir ». Qui sont-ils ? Soldats ? Forçats ? Fugitifs ? Ivrognes ? Apôtres d’un poète anarchiste ? Ils avancent dans l’hiver russe, s’enjoignant à l’insurrection, avec des mots qui… »
Brian EVENSON : Immobilité (éd. Rivages)
« Brian Evenson revient enfin en France, avec deux récits postapocalyptiques (le deuxième, L’Antre, est disponible aux éditions Quidam), qui happent dès leur incipit : « La sensation de revenir à la vie, mais pas complètement, une semi-vie peut-être. Une… »
Jim HARRISON : La recherche de l’authentique (éd. Flammarion)
« La recherche de l’authentique, florilège de textes écrits entre 1972 et 2010, porte la patte du Jim Harrison romancier à succès mais aussi celle du journaliste écrivant pour Playboy, le New York Times ou Sports Illustrated. En ces temps de misère existentielle, la… »
Barbara KÖHLER : Blue Box (éd. L’extrême contemporain)
« Barbara Köhler (1959-2021) est une poétesse, artiste et traductrice allemande. Elle a publié plusieurs livres de poésie et traduit des textes de Samuel Beckett et Gertrude Stein. Blue Box, paru en Allemagne en 1995, est son premier livre traduit en français. Le… »
DI(S)GRESSION (carte blanche sur un domaine autre que la littérature)
Perle VALLENS : La cuisine c’est de l’art !
« Au bout de la fourchette, il y a cette chair effilochée, cette sauce onctueuse, une soie au palais. Le vin s’assemble au mets et ça claque autant que ça caresse. Explosion de velours, fondu fondant tapissant toute la bouche. Plaisir qui confine à l’… »
DYSCHRONIE (saison 6)
Alban LÉCUYER : Été 2023
« 12 mars : Je revois American Honey (Andrea Arnold, 2016) avec mon fils. Quand Star, l’héroïne interprétée par la magnétique Sasha Lane, rencontre Jake (impeccable Shia Labeouf) sur le parking bouillant d’un supermarché, elle entrevoit déjà la… »
4 thoughts on “DISSONANCES #45 TOXIQUE”
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