MAUBERT Jean-Michel | Le sacrifice du géomètre

Coup-de-cœur de Tristan FELIX pour Le sacrifice du géomètre de Jean-Michel MAUBERT
DISSONANCES #45

J.M. Maubert, traqué par des instances narratives qui ne se manifestent que chez lui (lire Décombres, 2021), poursuit son œuvre singulière – labyrinthique, non tant par son ampleur que par sa densité hallucinatoire, ses bifurcations et ses métamorphoses qui toutes aspirent à un centre qui se déplace au fil des chapitres. Le lecteur, déstabilisé par les changements de points de vue, se perd («  tracer une ligne dont il faut penser la brisure serpentine. Construire le plus parfait labyrinthe, dont soi-même on ne peut sortir ») mais c’est pour mieux sortir de lui-même, s’incarner ailleurs. Ici, le Minotaure est la figure mentale d’un fascinant poème en prose qui convoque les splendeurs et les horreurs sacrées des mythes de la Grèce antique. Les monstres y sont victimes des forfaits des ancêtres et cette injustice libère de mystérieuses écritures, survivantes d’une mémoire sacrée qui sinue sur des corps reliques. Géomètre animaliste mais davantage encore animiste et ami des chimères, notre narrateur fait se croiser des voix flamboyantes et inouïes : « d’anciennes peurs remontaient en lui, tels des êtres griffus et hostiles remontant les parois d’un puits profond, cherchant son cœur, sa bouche, sa colonne vertébrale, la moelle de ses os – un bruissement d’abîme ». Le mythe ne vit que de ses variations et ces chants organiques orchestrent un sacrifice symbolique qui a pour vertu de faire revivre par une éprouvante métempsycose littéraire des figures qui résonnent avec notre ère de saccage du vivant : «  J’étais, tu étais, cet errant, déjà parcheminé, aussi seul qu’un cadavre quelconque avalé lentement par le sable ». Un recueil déconcertant, éblouissant, ultrasensible, qui colle aux viscères.

éd. Sinope, 2022
260 pages
12,50 €