EVENSON Brian | Immobilité

Coup-de-cœur de Julie PROUST TANGUY pour Immobilité de Brian EVENSON
DISSONANCES #45

Brian Evenson revient enfin en France, avec deux récits postapocalyptiques (le deuxième, L’Antre, est disponible aux éditions Quidam), qui happent dès leur incipit : « La sensation de revenir à la vie, mais pas complètement, une semi-vie peut-être. Une obscurité encore totale, à moins qu’un soupçon de lumière ne pointe à l’horizon. Des fragments sonores coincés entre l’oreille et le cerveau et dégelant lentement pour devenir des mots, s’égouttant lentement, sans qu’il soit possible de distinguer les paroles du présent de celles du passé, les choses imaginées de celles vraiment entendues. »
Qu’on le réveille ou qu’on le ressuscite, le narrateur à la mémoire trouée (une page blanche peu fiable, donc) et au corps paraplégique traverse des paysages désolés et radiés, porté par des « mules » à l’identité elle aussi incertaine. Son but ? Trouver une solution pour sauver l’humanité – mais les humains méritent-ils réellement de survivre ?
Imprégné de post-exotisme, de la paranoïa de Philip K. Dick, du doute de Fin de Partie de Beckett, de nihilisme et de réflexions messianiques (l’auteur étant, rappelons-le, un ancien prêtre mormon), le récit déséquilibre sans cesse le lecteur et l’invite à se demander ce qu’est vraiment l’humanité («  Que sommes-nous alors ? – Nous sommes, tout simplement. Pourquoi n’est-ce jamais suffisant ? ») et s’il n’est pas « préférable de ne pas laisser la société se développer du tout, d’abandonner chaque personne à son propre sort, seule, tremblante, et effrayée au milieu des ténèbres. »
Un roman d’une brillante noirceur !

traduit de l’anglais (États-Unis) par Jonathan BAILLEHACHE
éd. Rivages, 2023
256 pages
21 €