novembre 2018 / 48 pages / 5 euros
mise en images : Rim BATTAL
–
ÉDITO : DÉ/M/H/ONTÉES
La honte, ça ressemble à un anti-sujet
Tapies dans les recoins sombres de l’être, petites ou grandes, tentant d’échapper à l’œil contempteur ouvert jour et nuit comme un commissariat de police, nos hontes baissent la tête et se taisent, n’entrebaillant leurs misères que dans les confessionnaux, avec ou sans divan
et là… gare aux portes ouvertes sur l’épanchement égotique
La première personne boursouflée de son importance qui déversant la banalité de sa condition humaine sans sincérité oublie que dire ne suffit pas, qu’il faut aussi – dans le même mouvement – mettre à bas la langue et la ré-inventer
miraculeusement, à la façon des lépidoptères
Disséquées, tournées en ridicule ou retournées en colère, offertes en partage ou brandies en étendard, les hontes en littérature déploient leurs ailes et décalottent la normalité. Ce n’est sans doute qu’une fois accompli ce baptême qu’une écriture peut naître… dans la seule nécessité qu’advienne, sans honte (ni pathos, son corollaire), une vérité
(ce sera le thème du prochain numéro)
((et sur la pointe des pieds, se referme mon premier et dernier édito : au revoir, Dissonances, et merci du voyage))
Anne MONTEIL-BAUER
–
DOSSIER « CRÉATION » : LA HONTE
Cédric BONFILS : L’amour, le poulet et tout ce qui s’ensuit
« À l’aube, plusieurs jambes dans mon lit. Impossible de compter. Elles se débattent comme des poules dans une cage étroite. Le bas de mon ventre, cicatrice illisible. D’ailleurs, une femme, je l’aime encore. Elle dort dans une autre ville, après la mer. Elle… »
Pascale BRICE : La saison des pêches
« D’abord petite. / C’est un jour de poussière et de guêpes énervées. Le vent brûle. L’ombre abrupte rase à peine la pierre des murs. Le gravier que chacun foule d’un pas alenti par la condescendance. Le ciel empli d’un glas traînant. Sinon le silence. Les lèvres serrées des… »
Alice de CASTELLANÈ : Obstruée
« Les mots glissent sur vous sans anicroche, piste blanche cotonneuse. Vous reniflez, peu concerné. Jusqu’à la pierre camouflée au détour d’une gerbe d’ortie. / La machine grippe. Vous toussotez. / Qu’a-t-il dit, en fait ? / Vous rembobinez le discours pompeux qui… »
Blaise CHABANIS : Revanche
» Non, j’ai pas honte. Non. Pas la peine de me crier dessus comme ça. Contente toi de faire ton boulot et d’appeler les flics. Faut absolument qu’elle me fasse comprendre que voler c’est mal. Que je vais aller en enfer. Et puis quoi encore ? Son budget bouffe à elle… »
Marianne DUFOREAU : Quartier H
« Lorsqu’une douleur crie, chacun calcule avec son corps la meilleure position pour entendre, voir, se cacher, observer ou fuir. Il faut du courage au paysage pour accepter, entourer, laisser une place. Le corps et la ville ont l’espace en commun. Vieille ville, zone industrielle… »
Amélie GUYOT : Chamaille de nerfs
« On se réveille. On se maintient dans un semi sommeil.
On a ressassé la nuit aux heures creuses. Revu les cotillons pelotonnés
en petits tas piétinés sur le lino sirupeux et les… »
Ingrid S. KIM : Pétrichor
« J’ai retrouvé ce cliché de toi tu sais, celui où tu riais à demi nu une clope à la main gauche avec le Frangin qu’on devine au bord, tes yeux fermés je m’en foutais, faudrait que j’en grille des neurones pour oublier tes étangs même encore aujourd’hui. Je voulais en… »
Philippe LABAUNE : Solemnia
« Ogresse cyclope qui se tut si longtemps tu sais ce qu’il y a dans un silence quand tu montes les marches vers sa grotte de peau et de fumée tu entres tu as reconnu sur ses lèvres le sourire du père tu soulèves le drap de petit Monsieur le 6 / À vif dans l’air et… »
Perrine LE QUERREC : Vauban
« Le regard sur moi il voudrait il ne voudrait pas le regard s’appuyer à peine se poser mais m’appuie quand même quand il me frôle / de sa présence / s’appuie m’appuie / sur la nuque mes mots surtout mes mots / Le regard auprès de moi sa place prend de la… »
Patrice MALTAVERNE : Cancer
« Cette fille que tu n’aimais pas vraiment est tombée malade. Une vraie maladie à en perdre les cheveux. / Cette fille à qui tu as rendu visite sur un coup de tête alors qu’elle ne se sentait pas très bien et que tu n’as plus jamais voulu revoir. / Elle s’en est sortie sans… »
Novella MARGELLE : Mauvaise fille
« L’odeur d’éther et de mauvaise soupe nous accueille. Nous suivons le père. Il entre les bras chargés de vide. / Je patiente de longues secondes derrière la masse autoritaire. Je devine mes frères qui s’approchent du lit métallique. Pas feutrés. Mes semelles glissent sur… »
Samuel MARTIN-BOCHE : L’insigne
« Rasant les murs tête baissée ou
sur le fil avec l’enfant balbutiant
en toi retranché qui… »
Sélène MOIZAN : Dans les yeux de on
« On te parle – de haut
On te regarde – comme si tu empestais
On te sourit – avec… »
Timothée PELLETIER : Holodomor
« La porte se referme. Les parfums de charcuterie, de punch et d’accolades transpirantes embaument l’espace. Le spectacle se met en place dans l’entrée. Le chœur est juste derrière, sur le seuil. Il fredonne une mélodie pour apaiser les tensions qui naissent des… »
Julien TRANSY : À l’autre bout
« Des fois
J’ai l’impression que mon chien
S’il pouvait… »
ZOÉ : À main levée
« Une gifle et puis l’autre
Du plat d’une main immense
La coiffure démise… »
–
PORTFOLIO : Rim BATTAL
« Pierre angulaire du surmoi, la Honte s’infiltre insidieusement dans les interstices de l’être lorsqu’elle y trouve un chemin, envahit les entrailles, grimpe chaque parcelle de chair et s’y ancre comme un lierre. Intrinsèquement liée au contexte culturel, moral, politique, la Honte est… »
–
RUBRIQUES « CRITIQUE »
DISSECTION (21 questions à un(e) auteur(e) connu(e)) :
Laurent ALBARRACIN
« Où en êtes-vous avec l’utopie ?
Je n’ai jamais cru aux utopies, du moins à leur réalisation. Je les laisse à leur non-lieu. Mais je n’ai rien contre les utopies, d’ailleurs, elles servent aussi à savoir ce que l’on veut pour soi… »
DISJONCTION (4 regards croisés sur une oeuvre remarquable) :
Le corps lesbien (Monique WITTIG)
« Douze fragments et onze placards en majuscules (comme 11 radiographies) se font face dans ce texte et s’entremêlent à la manière de la double hélice de l’adn pour répondre à un titre à l’ironie explosive : Le corps lesbien. Anti-Chansons de Bilitis, le ton et le... »
DISSIDENCES (8 coups-de-cœur de lecture) :
Raymond COUSSE : Stratégie pour deux jambons – éd. Zones sensibles
« « Je suis seul maintenant et tout laisse à penser qu’il en sera ainsi jusqu’à la fin ». Notre cochon érudit et philosophe est pourtant en paix avec son sort. Malgré quelques anicroches avec son porcher, son 4m² répond à tous ses besoins. Il sait comment sa… »
David DUMORTIER : Au milieu d’Amman – éd. Al Manar
« J’imagine volontiers qu’Au milieu d’Amman trône au fond d’un café obscur des faubourgs d’Inde ou d’Afrique. Dans le coffre à outils d’un mécano. À la fenêtre d’une cahutte de la Baie d’Hudson. N’importe où. Tant que la Routine s’y ouvre à un Rêve Éveillé. Que le Temps… »
Christophe ESNAULT : Mordre l’essentiel – éd. Tinbad
« Sauter à l’élastique dans le cerveau d’Esnault et Mordre l’essentiel (« Oxyde ton cœur à trop aimer. Traverse les frontières pour mesurer l’inutilité. N’économise rien. ») / Explorer les seize cercles (16 = 4 + 4 + 8 : « (S’approprier la) Puissance symbolique du 4.48 » : saluer… »
Claudine GAETZI : Grammaire blanche – éd. Samizdat
» « Plissures se faisant se démultipliant ». Rien ici ne se paraphrase, ne se reformule. Stérilité d’esquisser les contours d’un propos qui dévierait tant que la phrase (ou le vers-émotion-sens) deviendrait une grossière copie. « Cousant bord à bord les récits, je… »
Jean-Claude GOIRI : Ressacs – éd. Z4
« Ce veilleur à vif pilote avec ferveur la revue FMP et les éditions Tarmac. Copeaux contre la Barbarie chez Tarmac s’ouvrait ainsi : « l’inculture se cultive en perçant la rétine – avec une balle c’est mieux » ; Ressacs, plus intime, annonce : « j’écris pour que mon… »
Julia KERNINON : Ma dévotion – éd. du Rouergue
« Quand Helen croise Franck par hasard sur un trottoir londonien, cela fait vingt-trois ans qu’ils ne se sont pas parlé. Et justement, Helen a beaucoup à dire. Alors à ce vieillard de 80 ans, elle entreprend de tout raconter. Tous ces détails que sa mémoire a soigneusement… »
Annie ROLLAND & Mahdi BOUGHRARI : Désert indigo – éd. Stéphane Batigne
« Ce livre, c’est un peu comme un album photo : tout en instantanés (courts textes : touches sèches, intimes, distanciées) donnant à voir des gens et des scènes de vie dans leur banalité, il ramène à l’esprit une époque et un monde qui pour être passés n’en ont pas moins été un… »
Patrick VARETZ : Rougeville – éd. La Contre Allée
« « Ainsi quand je clique au centre de l’image, pour traverser la route, les véhicules s’effacent de l’écran comme par magie, et un panneau publicitaire fait son apparition à l’extrémité de l’aire de stationnement (un magasin d’ameublement et de décoration… »
DISGRESSION (carte blanche sur un domaine autre que la littérature)
Nicolas LE GOLVAN : Repp avec Lacan
« Certains osent tout, entre dicton populaire et mot d’Audiard : on me reconnaîtra. Mais quoi, tout bien considéré, ça se pourrait bien, et même sans rire, que Repp et Lacan nous délivrent le même message. / Pierre Repp, le comique bafouilleur et bégayeur, fantôme fragile et… »