LE GOLVAN Nicolas (extraits)


DISSONANCES #41
| OPIUM
Papavérine

« Poésie garantie sans opium, 0
1 poésie propre au fumet javélique
2 poésie de sanatorium lucide
écriture en ligne claire, blanche à priser, 3
écrire pur à la soude caustique, 4
poésie de pressing à la chaux vive, 5 pleine santé
mais pas poésie vapotée à l’opium, non, dégueulasse
sauf à… »

DISSONANCES #35 | DI(S)GRESSION
Repp avec Lacan

« Certains osent tout, entre dicton populaire et mot d’Audiard : on me reconnaîtra. Mais quoi, tout bien considéré, ça se pourrait bien, et même sans rire, que Repp et Lacan nous délivrent le même message. Pierre Repp, le comique bafouilleur et bégayeur, fantôme fragile et attachant des postes de télé de la deuxième moitié du XXe siècle, avec le maître Jacques, analyste prodigieux, causeur inimitable, hantant la pensée actuelle entre religion et abjection. « Repp avec Lacan » ; je singe ici le texte lacanien « Kant avec Sade » (d’emblée aussi improbable), suprêmement démonté par le philosophe Dany-Robert Dufour dans La Cité perverse. Car je soutiens que la télé a fait plus qu’on penserait pour la culture populaire. Aujourd’hui, Repp n’est qu’un souvenir de niche, mais ceux qui l’auront croisé au meilleur de son art n’oublieront jamais cette expérience catastrophique du langage et cette silhouette d’excuse : menu bonhomme moustachu à l’incroyable coiffure en casque. Faire rire avec le malaise, le handicap, incarner à ce point le symptôme bafouillant, ce serait bien révéler notre nature d’être parlant, et fondamentalement mal parlant. En clair, Repp (avec Lacan) nous rappelle qu’on ne parvient jamais à dire vraiment ce qu’… »

DISSONANCES #28 | AILLEURS
Béranasi
« C’était le premier jour à Vârânasî, ce Bénarès éveillé, pour quelques heures encore Bénarès. Il n’était que dix heures et nous prenions acte de la chaleur assommante comme un gage attendu au jeu du voyage. Pierre faisait l’intrépide, Florence reprenait ses marques, un peu d’élan, voilà, c’était maintenant. Nous avions de suite loué une barque avec chauffeur pour partir à l’assaut du Gange, nous tenions notre plus vieux pari pour cinq cents roupies plus une rallonge, la caisse commune dégorgeait, on négocierait mieux demain, promesse tenue.
Le spectacle allait commencer, un son-et-lumière de plein jour. Le bateau ne semblait pas prendre l’eau tant que ça, nos fesses s’étaient calées sur les planches du moins sèches, personne ne se sentait autorisé à bouger, à peine percevait-on le moteur du Canon de Flo dans le silence… Ici, les belles lavandières sont des hommes ligneux qui essorent le linge en hélicoptère au-dessus de leur tête ; ils frappent la pierre plate, ânonnent, éclaboussent. Nadège avait eu son baptême indien, on s’était un peu trop approché, déjà. Non, l’instruction changeait tout du ressenti, le bon sens surtout. Je lui avais tendu mon paquet en singeant la douleur. Après s’être… »

DISSONANCES #27 | ORGASMES
Something’s got to give

« – Tu savais que mon père a couché avec Marilyn ?
– Pardon ?
– Oui, Marilyn !
– C’est qui, sa coiffeuse ?
– Monroe, enfin !
– Ton père ? Misère…
– Non ! Je t’assure ! Tu sais bien que, les dernières années, elle couchait avec le premier péquenaud un peu entreprenant !
– C’est sûr qu’elle était chargée. Pauvre enfant…
– Et ce n’importe qui, ce figurant du réel, eh bien, ça a été lui, Papa ! Un hasard terrible, foudroyant ! Imagine ! Un homme aussi neutre que mon père, qui, une fois, une seule, presque par inadvertance, et pour la dernière, croit reconnaître dans une apparition le dos de cette bombasse ! On est en avril 62, elle fait un passage pulsionnel à… »

DISSONANCES #24 | LE MAL
Primal
« Le roi des poules accueille Niat, le nouvel ambassadeur turc en transit jusqu’à destruction intégrale du F5, bâtiment F, escalier 2, le Clos ; un résumé d’évolution qui communique d’emblée au lancer de caillou. Peu de main d’œuvre aura suffit à faire acte de civilisation. Les vingt nuits suivantes sont toutes consacrées à la satisfaction du colon.
Le roi des poules ausculte Garabit, une abréviation de fille dont le véritable nom est touché d’oubli, une étoile à cinq branches tendue, tenue ferme à quatre. Là des pressions de nichons, un gros fourré de poils senti, une dinde pour la voix. L’anatomiste la porterait presque au doigt ; d’une grosse bague tournante, une marionnette avachie, sans rideau qu’un peu d’herbe haute du champ de foot à jamais jamais tondu. Tout cela se ferait à blanc si elle ne bavait pas mal. Le roi des poules ne s’en mord pas vraiment le doigt ; il rapatrie en bouche : il invente l’œnologie.
Des chiens rôdent autour du roi des poules. Des loups abâtardis, sveltes, avec de longues pattes en sous-emploi qui sautillent, qui patientent, qui l’enjamberont dès que sifflés par le maître jamais vu, couché derrière le volet métallique de sa… »