DISSONANCES #47 APRÈS L’ORAGE

octobre 202464 pages / 8 euros
mise en images : Cédric MERLAND

ÉDITO : IMAGINER L’APRÈS

Le fond de l’air est lourd : partout autour de nous les nuages s’amassent et l’on entend au loin (sur Kiev, Gaza, Beyrouth, le Soudan, le Yemen…) le tonnerre gronder. On plaint – que faire d’autre ? – celles et ceux sur qui crèvent les orages d’acier et qui enterrent leurs morts lors des brèves accalmies que leur octroient les dieux en tenue léopard ou costume cravate qui jouent à déchaîner la foudre sur les peuples qui gémissent sous eux. On espère – que faire d’autre ? – que ça va s’arrêter. Mais on en doute un peu : on sait que l’Homme est fou et que plus jamais ça n’est jamais qu’un vœu pieux. On espère quand même. Et on rêve d’après.

Après l’orage donc : c’est à l’imaginer que s’emploie le dossier de ce nouveau numéro, et le moins qu’on puisse dire c’est que les 19 textes qui au final le composent (passée l’épreuve du feu d’un comité de lecture épique comme toujours – c’est-à-dire parfois lui-même fort orageux) dissonent cette fois-ci tout particulièrement (ce dont on est ravis parce que c’est tout ce qu’on veut) et donc c’est tout autant de formes et de tons, de voix et de visions également puissantes chacune à sa façon, et leur faisant écho (comme le tonnerre au loin que j’évoquais plus haut) les vibrantes images d’un poète-photographe pareillement inspiré.

Bref tout n’est pas fichu puisque l’on peut encore (malgré l’actualité) saluer la beauté : on y croit en tout cas, et vous y êtes invités.

Jean-Marc FLAPP

DOSSIER « CRÉATION » : APRÈS L’ORAGE

Jane ANGUÉ  : Debout
« mer intérieurexxxxon patauge / les murs ne cessent de pleurer / plâtre gonfléxxxxpeinture cloquée / écailles qui neigent / portes confuses / impossibles à ouvrir / impossibles à fermer / nous sommes debout // vergers hors d’haleine / un campagnol noyé / arrêté sur… »

Rachel BOYER : La gorge arrêtée dans l’artère
« L’estomac pend / haut dans le ciel / et la boucherie annonce / que la digestion sera lente – // le chaudron se fissure / simplement / le corps du jour monte sur le mien / renverse l’or et le magma // déborde l’aurore, le sang de ses doigts // le coeur bombé des… »

Joseph CHANTIER  : Ciel de traîne
« Alors, on en est là. // Tic Tac Tic Tac Tic Tac // Chaque abominable seconde qui s’écoule me rapproche de ma mort. Donc je n’irai pas par quatre chemins. // Carlo, le fils aîné du voisin italien, s’est tiré un coup de carabine en pleine tête. Il a… »

Patricia FAVREAU : Course
« Inspire Expire / Souffle / Inspire Expire / Souffle / Chacune de tes foulées / Choque / Le sol détrempé / Inspire Expire / Souffle / Ton cœur lourd / Clapote / Dans les flaques de septembre / Inspire Expire / Souffle / La pluie éparse à présent / Perce… »

Élise FELTGEN : Sauterelles
« Après l’orage, le temps n’existe plus, il tourne en boucle, plonge, replonge, toujours dans la même eau qui n’en finit pas de cracher rouge. C’est l’eau sanglante de la Seine trouée par le chassepot des Versaillais, l’eau sanglante de la Seine dans laquelle on…

Laurence FRITSCH : Après les orages d’acier
« Il y a des trous d’obus pour s’abriter aussi propres qu’une salle de bain / Il y a des kilomètres de tranchées qui défigurent le paysage sans fin / Il y a du gibier et des champignons gavés de métaux lourds / Il y a des scolytes qui bouffent la… »

Christine GUICHOU  : nous marchons
« (tout est devenu forêt depuis) / nous marchons / nous mangeons des oiseaux /la boue n’en est pas plus légère à nos pieds / mais / nous chantons parfois / (et alors nous n’entendons plus rien / de leur silence) / des loups nous observent de loin / nous ne… »

Caroline HUGUES : Fractales
« APRÈS L’ORAGE / LES ÉCLAIRS / EN FRAGMENTS / DANS / les alcanes / de mon cœur // la rivière / râcle sa gorge / creuse / des vallées de rides / sa ripisylve // les arbres / secouent leur pelage / pleurent / leurs souvenirs / tes mots // sont / des… »

Mathieu LE MORVAN : Summanus
« Tu te souviens sans doute de la Louve, Andrea, ou de la stupeur de Méduse terrassée par Persée, mais te souviens-tu de cette galerie, sous les musées du Capitole, en descendant vers l’antique tabularium ? Nous nous sommes arrêtés devant cette… »

Marion MAIGNAN : inox 304 over
« il avait plu. pendant des jours et des jours. jours-gris jours-plats jours-crasse jours-froids. jours bouffis, demi-jours. nuits-jours. il avait plu. pendant des jours. c’est le déluge ils disaient accoudés au comptoir un sourire malin accroché à leurs… »

Philippe MALONE : Maintenant     ici
« Un arc en ciel lacéré / Des lanières monochromes / La défaite de l’alliage // ça pend // À plat ventre face à face / Face aux bottes / flagrantes / délit / tout est ditXXX messe // Cris com vodka gammée / Les cercles se ressoudent / L’espéranto à… »

Thibault MARTHOURET : seuls les oeufs durs résisteront
« Si on se fait la guerre il restera peu de choses // un homme / un homme en général / un homme comme on dit / les hommes // donc l’homme / comme on dit l’homme / pour dire la femme / et les enfants / et les adolescents / mais pas les chevals // l’homme comme… »

Anne-Lise MAURICE  : Le cri de la chouette
« L’eau ruisselle à plein dans le caniveau devant le garage, une odeur rouge gluante, toujours après l’orage, comme sur les mains de son père à la fin de la pêche. À l’horizon les nuages s’effilochent en éclairs, elle retourne à l’intérieur. Cet après-midi son… »

Anne-Marie Jorge PRALONG-VALOUR : Déluge
« La mousson dégueule des jarres joufflues / Alignées en nurses-soldats / Le long du trottoir qui se dérobe / En gravillons sales en sales gravats // Décrasse le dragon gravé sur leur flanc / Lessive les rues avale les ordures / Engloutit les miasmes tropicaux / Et… »

Miguel Ángel REAL  : Tâches
« Si les gouttes de pluie sur la fenêtre n’étaient que des échos / ce serait plus simple de trouver un refuge, / mais c’est une obstination grise qui modèle le temps / pour estomper sans cesse l’envie de voir venir le monde. // Sous l’orage éternel se cache… »

Benoit TOCCACIELI  : Comme les oiseaux
« Une fois le tonnerre apaisé, une fois les dernières gouttes tombées, une fois le vent calmé, les oiseaux commencent à sortir, avec prudence. Ils pépient, remuent timidement entre les branchages, quittent le nid, y reviennent, vérifient les… »

Perle VALLENS : Avant la lueur
« après affrontement & effondrement / le ciel écrouléxxxxxson affaissement d’après crevaison / d’après éclaboussures / effet baudruchexxxxxou sac percé / après grand déballage & trombes d’eau // comment se releverxxxxxde la grisaille boueuse jusqu’… »

Gaston VIEUJEUX : état des lieux
« un peu de crasse et quelques trous / de la poussière au bord des plinthes / voilà ce qu’il reste de nous / et du train-train de nos étreintes // planté dans cet appartement / qui sent déjà l’oubli des choses / je goûte au charme ébouriffant / du vide et… »

Dimitri WILEN : Te voilà au sol
« et bien sûr tu te ramasseras sur la peau de ton bras cette image tatouée plus brusquement que l’oiseau bleu de ton épaule l’hématome est une nuit frappée d’étoiles t’amuses-tu et tu n’imagines pas dans la chair humide le liquide visqueux qui… »

IMAGES : Cédric MERLAND

« Cédric Merland, né le 28 novembre 1973, est photographe et poète. Il présente l’émission littéraire Trace écrite sur Radio Grand Ciel (il y participe également à La route inconnue). // Il y a eu un premier poème dans Dissonances, il y a quelques années, qui… »

RUBRIQUES « CRITIQUE »

DISSECTION (24 questions à un.e auteur.e connu.e) :
Corinne LE LEPVRIER

« Où vous êtes-vous sentie le mieux ?
Dans la soif de mes yeux et la faim de mon corps, toute en lui s’il se sent (ou est-ce moi ?) la maison primordiale. Dans l’oubli, dans les textes ne finissant pas. Pieds nus dans… »

DISJONCTION (4 regards croisés sur un livre remarquable)  :
Reste (Aline DIEUDONNÉ)
« Que feriez-vous si votre amant mourait noyé, lors de votre escapade amoureuse dans un chalet isolé ? Il est peu probable que vous partiriez en road trip avec son cadavre et relateriez vos étranges aventures à sa femme. C’est pourtant le choix que fait… »

DISSIDENCES (8 coups-de-cœur de lecture en domaine francophone)  :
Louise BENTKOWSKI
 :  Constellucination (éd. Verdier)
« Louise Bentkowski signe ici un premier livre à l’écriture resserrée autour de la complexité et de la diversité de tout ce qui fait héritage, de tout ce qui est transmission. Le pacte de lecture qu’elle propose est donné d’emblée (« Je voudrais élargir ma… »
Violaine BÉROT
 : Nuits de noces (éd. La contre allée)
« Cela n’arrive pas tant que la simplicité vous cueille, je veux dire, qu’une voix vraiment univoque s’incarne illico en vous, possédé, malgré tous les traquenards inhérents à son sujet. Alors oui, à dix-neuf ans, elle aime un prêtre contre la violence d’un… »
Olga DUHAMEL-NOYER : Mykonos (éd. Héliotrope)
« Quatre amis tout juste sortis de l’adolescence débarquent sur l’île grecque de Mykonos. Il fait chaud, trop chaud, et les rues de ce qui n’était à l’origine qu’un village de pêcheurs sont envahies de vendeurs de babioles touristiques, de rythmes électro et… »
Pierre GONDRAN DIT REMOUX : Quelques bois (éd. PhB)
« Un étrange vertige statique nous prend à lire ce poète qui a écrit depuis 2020 une dizaine de recueils à la fois minces et d’une densité extrême. Puisant au vol dans ses connaissances d’ingénieur agronome et de correcteur de textes médicaux, il offre… »
Alexandre GOUTTARD : Dommage (éd. La Crypte)
« « Dieu ! bordel de merde ! Pardonne-nous putain ! » Un poète qui écrit ça titille forcément mon intérêt. Attention : naissance d’un grand écrivain dont c’est le deuxième livre seulement ! Tourbillon foisonnant, monstrueux, dans lequel on peut… »
Hélène LANSCOTTE : Ma femme, cette animale (éd. Cheyne)
« « C’est le printemps, un baiser court parmi les feuilles. » Difficile d’écrire sur la beauté. Le livre refermé, on n’a pas vraiment envie de lui ouvrir les tripes pour en comprendre le charme. Au plus le humer, picorer quelques lignes, le refermer, le… »
Erwann ROUGÉ : Paul les oiseaux (portrait) (éd. Isabelle Sauvage)
« Ça tremble dedans, au fil des mots du poète, ça tremble comme une aile de papillon, détachée, qui hésite à prendre le vent. Ciselée au plus près de l’os du langage et des blancs de la respiration sur la page, la poésie d’Erwann Rougé esquisse peu à peu la… »
Perle VALLENS : Peggy M. (éd. La place)
« Qui se souvient encore de l’affaire Jourdain ? Quand elle a éclaté, plongeant la France d’alors dans l’horreur absolue, la gamine de treize ans sur qui s’ouvre le livre n’était même pas née : elle la découvre donc en recherchant par jeu (curiosité, hasard, … »

D’ISTANBUL À RIO (4 coups-de-cœur de lecture en domaine étranger) :
Dorothy ALLISON : Les femmes qui me détestent (éd. Hystériques & AssociéEs)
« « Et je chevauche bien haut mon amante » : dès l’ouverture, Dorothy Allison donne la tonalité de son recueil en revendiquant avec fierté sa liberté d’explorer les plaisirs sexuels, sa soif de reconnaissance et d’élévation. Figure emblématique des… »
Léonard COHEN : Les perdants magnifiques (éd. Christian Bourgois)
« Récit déjanté d’un ménage à trois où il est question d’un narrateur poursuivi par le suicide de sa femme Edith, de la relation désinhibée du couple avec l’intrigant et sulfureux F., Les perdants magnifiques nous entraîne dans une histoire à tiroirs où… »
Keiichirô HIRANO : Compléter les blancs (éd. Actes Sud)
« Un homme meurt et réapparaît, trois ans plus tard, dans son ancienne vie. Il ne sait plus comment il est mort et doit trouver comment se réinsérer dans son couple, dans sa vie familiale et dans sa vie professionnelle. Il lui faut également enquêter, pour… »
Ron RASH : Réveiller les morts (éd. de Courlevour)
« C’est la première fois que la poésie de Ron Rash est traduite en français. Davantage connu par le public francophone pour ses romans noirs, l’auteur redonne vie, dans ce recueil de 125 poèmes, à quatre générations d’ancêtres en un siècle d’histoire du… »

DI(S)GRESSION (carte blanche sur un domaine de création autre que la littérature)
Romain PARIS  : Carthagène de la Transe
« Voici la Nuit à Carthagène des Étoiles / – Brésiliens, Mexicains, Péruviens, Équatoriens, Cubains, Yankees, Européens, Colombianos / Affluent là pour écluser le Nectar Analgésique d’un Éden Maudit / Un Zéphyr Abyssal y échauffe le Vital / Carthagène des… »

DYSCHRONIE (saison 8)
Côme FREDAIGUE  : Été 2024
« 5 mars : Sale temps. La guerre gronde aux alentours, le futur se craquelle chaque jour un peu plus et le pays s’enfonce dans la dépression politique. Gueule de bois post-covid qu’il va falloir soigner en s’accrochant à l’idée que ça passera ? // 17 mars : 150 euros la… »