octobre 2025 / 64 pages / 8 euros
mise en images : Claudio PARENTELA
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ÉDITO : Au bord de l’abîme
Élie Faure l’annonçait dans son Histoire de l’art reprise par Godard dans la bouche de Ferdinand-Pierrot : « Un roi dégénéré, des infants malades, des idiots, des nains, des infirmes, quelques pitres monstrueux vêtus en princes qui avaient pour fonction de rire d’eux-mêmes et d’en faire rire des êtres hors la loi vivante ».
Alors on en est là. Loin après la vérité, loin après la honte et le minimum de faux-semblants auquel nous nous étions habitués. L’Histoire retiendra que peu avant la disparition de l’espèce humaine, ses plus éminents représentants s’étaient incarnés en une poignée de clowns en roue libre convaincus que leurs numéros sur la piste étaient ponctués d’applaudissements quand ils n’étaient troublés, çà et là, que par quelques mouvements d’humeur impuissants et découragés ; qu’une fois vidés les gradins de ce cirque dépourvu d’ambition et de la plus infime dignité, ces tristes bouffons avaient probablement fini par s’entretuer dans la plus parfaite indifférence.
Élie Faure parlait des motifs de Velázquez, Godard d’une France putréfiée à la veille de Mai 68. Quant à nous, nous pénétrons dans le dernier cercle de l’enfer.
Alban LÉCUYER
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DOSSIER « CRÉATION » : L’ENFER
Jane ANGUÉ : Ressemblances
« Quand tu avances dans le boyau / sous les barrages d’artillerie qui ponctuent / d’hématomes le ciel suffoqué / le pied glisse indifféremment / sur une flaque de boue ou un corps sans vie // Quand tu ne sens plus l’odeur de charogne / parce que tu… »
Pascal ARNAUD : Aspergillus
« il disait / écoutez c’est moi qui raconte / il fallait se taire / il parlait // on était assis en cercle / comme les pierres du feu du soir / c’était le matin / le café au lait les tartines / clapotaient / dans nos ventres en cage // ferme la porte / il disait au… »
Jean-Christophe BELLEVEAUX : Highway to Hell
« 8 h 39 avale un café avant de démarrer tremble déjà / une clope que je tète à donf / Gaza des brasiers des ruines / (si au moins j’avais un caillou de crack mon intifada à moi) // 8 h 51 me lance un grand défi tenir jusqu’à 9 h putain je réussis je gagne je… »
Marc BONETTO : Tisonner les plaies
« Il y a dans le vice, l’abjection, l’ordure, un plaisir, une ivresse, un défi où l’on se déchire avec le dessein d’écœurer le monde, les hommes, Dieu, la vie, les prétendues valeurs morales qui fondent la civilisation et causeront sa perte. // Se livrer au… »
Tiphaine CORBET : Pire que l’enfer
« Ça va ? // C’est l’enfer. Pas possible d’avoir une conversation de plus de 40 secondes avec un adulte. Je crois que personne n’a réussi à finir une phrase depuis que je suis arrivée. Et toi ? // Pire que l’enfer. // Pire que l’enfer ? Vous parlez modèles…
Florian COVELLI : Grimace de phénix
« – Comment tu vas ? // – Bien (doomscrolling doom destin imminence apocalypse scrolling défilement tourbillon fuite gouffre à mes pieds y aller ? flammes dans l’obscurité mystère effroi fin il n’y a pas d’autre solution que de se coudre un stylo dans… »
Auns DAROUAZ-KHECHINE : Enfermée
« enfermée dans le mot / le mot dans la bouche / la bouche dans le silence / le silence dans la pièce / la pièce dans l’immeuble / l’immeuble dans la ville / la ville dans la tête / et la tête / dans l’enfer / je m’enferme / tu t’enferres / il déferle / nous nous… »
Axel DECROIX : Kénose
« Je ne sais pas comment je suis arrivé là. Il n’y a pas eu de chute, pas de hurlement céleste, pas d’éclairs dans le ciel. Seulement un silence si épais qu’il m’a déchiré les tympans, suivi d’un froid si noir qu’il m’a brûlé la chair. Puis cette… »
ÉCLIPSES (collectif d’écrivaines) : Éclats
« Lundi. Elle a beau se pincer les pommettes, appuyer sur le coin intérieur puis sur le coin extérieur de l’œil. Masser soigneusement comme elle l’a vu en vidéo sur son téléphone. Rien à faire. Ses cernes sont toujours là. Elle ouvre le tiroir, sort les… »
Pierre GONDRAN DIT REMOUX : Un tout autre bois
« Tu sais. / Le bois. / La nuit. / Le bois la nuit est un tout autre bois. // Tant d’arbres poussent à voûte noire, troncs pressant contre ton dos, écorces inconnues sous ta paume aveugle, racines enflées qui te poursuivent comme vipères grosses de leur… »
Frédéric HOLIC : D
« Cercle des incrédules / Le futur s’évanouit soudain. / Tes métacarpes dessinent toujours des sentiers sous ta peau, / mais tes mains tremblent comme celles d’un alcoolique en manque. / Sur la face supérieure du dé géant qui vient de s’… »
Mike KASPRZAK : Sous nos pieds
« Ils hurlent dans la nuit, et la nature de leurs cris ne laisse place à aucun doute, ce sont des cris de douleur, de torture, des hurlements stridents et sourds qui s’effondrent sur des parois noires, sous un ciel noir, sur un sol noir, un sol brûlant, liquéfié, qu’… »
Florian LEGAL : Semaines roses et murs blancs
« 1 / Je reviens, presque un an après, jour pour jour / C’est froid, c’est blanc, ça n’a pas changé / Je tends le bras, abattu / Les larmes coulent devant l’aiguille qui rentre, puis qui sort / La seconde aiguille pénètre l’épiderme, s’enfouit dans la chair, le… »
Yves MINOIS : Le Grand Bond en Arrière
« 8 janvié 2055 / sa yé y zavé bien di ksa alé arivé ! / on ni croié pas sé loreur tout sé arété dun cou il y a une semène plu de conexion plu dacsè au zapli plu dacsè a internet on a plu klé zapel et lé sms jsui restée dans l’inconpréhensible jé cru ksété une… »
Agnès NAGEOTTE : S’éteindre
« Vous auriez pu le voir venir. / Peut-être un jour au supermarché. Poussant votre caddie entre les rayonnages, évaluant rapidement votre richesse et vos possibilités. Au rayon des viandes et volailles, parmi les animaux transfigurés, à vous demander… »
Agnès PETRI : Le saut perpétuel
« I. Préface à l’effacement / J’ai glissé hors du monde sans bruit. Pas un cri. Pas un drame. / Juste une fatigue grise, une lente disparition des contours. / Je suis devenue translucide à l’intérieur. / Un verre lavé mille fois. / Un miroir qu’on n’interroge plus. // Les… »
Charlotte POITRAS : Géhenne
« (géhenne) // cendres consumées / sacrifice urbain / vallée d’ombre, vallée d’oubli / déchet / immolation / moloch gobe / les vestiges d’un feu (perpétuel) // (fosses communes des âmes réfractaires) // fumée, ordure, supplice / un murmure de… »
Perle VALLENS : Inferno dia
« né d’une double hiérarchie comment choisir du vice / ou de la vertu ce qui fait de toi / {l’ange} / jamais saint mais saisi d’une grâce / jusqu’à ce que tu sois déchu / ébranlé ébranlé grand tremblement / d’un trou noir sous les pas // longues… »
Jacques X : Émincendres
« Le sol ne saigne pas, il mâche / des claviers calcinés sous les pas, / et les ombres se penchent sans couvercle ni / écumoire de répit. // Un drone pend, inerte, à la voûte de cendre. / Le cri d’un criquet rouillé s’effondre dans l’huile. // Ici, nul cri, / seulement le… »
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IMAGES : Claudio PARENTELA
« Né en 1962 à Catanzaro (Italie) où il vit et travaille, actif depuis de nombreuses années sur la scène artistique internationale, Claudio Parentela est illustrateur, peintre, dessinateur, collagiste, photographe, artiste postal, textile, numérique, journaliste free… »
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RUBRIQUES « CRITIQUE »
DISSECTION (24 questions à un·e auteur·e connu·e) :
Milène TOURNIER
« Que faites-vous quand vous n’écrivez pas ?
Je marche. J’essaye d’avoir des sensations. On a un corps mais pas toujours des sensations. Lorsque c’est la dernière fois que je me baigne l’été j’essaye d’ancrer les… »
DISJONCTION (4 regards croisés sur un livre remarquable) :
Pornographia (Jean-Baptiste DEL AMO)
« D’abord happée par la quête poreuse et hallucinée du narrateur, entraînée malgré moi dans sa dérive autour du point aveugle d’un giton aussi vite trouvé que perdu ; puis peu à peu engluée dans cette écriture précise et somptuaire qui exhibe survie et… »
DISSIDENCES (8 coups de cœur de lecture en domaine francophone) :
Jacques CAUDA : Pronostic vital engagé (éd. Sans crispation)
« « Quel bonheur de conjuguer sous les lumières d’artifice la jeunesse, la goinfrerie, la métaphysique, la volupté, l’impudeur, l’intelligence, la sauvagerie et le rire ! Une entrecôte et un Moulis. Suivi d’un autre millefeuille au chocolat. Une merveille, l’amer et… »
Sophie COIFFIER : L’éternité comme un jeu de taquin (éd. L’œil ébloui)
« Le jeu de taquin, par sa structure, est mobile : quinze pièces (chiffres ou morceaux de puzzle) coulissent dans un cadre grâce à une seizième case absente. C’est sur cette contrainte mathématique et pérecquienne que Sophie Coiffier… »
Gabrielle FILTEAU-CHIBA : Louve en juillet (éd. dépaysage)
« Louve en juillet, c’est d’abord une belle couverture crème au bandeau couleurs d’été indien représentant d’un côté une louve et de l’autre une femme. Pour introduire l’ouvrage, une citation de 1903 de la journaliste libertaire et féministe Séverine… »
Pierre GONDRAN DIT REMOUX : Poèmes dévalés suivi de Ivre de cabanes (éd. PhB)
« Depuis 2020, La poésie de PGR (chroniqueur par ailleurs) vascularise en tous sens, plonge ses vaisseaux de plus en plus profondément dans la terre, irrigant une langue ivre de ses nouvelles explorations. Elle s’exaspère ici dans le ton et la… »
Adrien LE BOT : Tu cherches quoi ? (éd. Allia)
« C’est un îlot de verdure près d’un pont, on pourrait croire à un tableau impressionniste. L’homme précise toutefois qu’il s’agit d’une aire de repos, avec tables de pique-nique et toilettes publiques. D’autres, tous désignés par leurs initiales, évoquent des… »
Rémi LETOURNEUR : L’odeur du graillon (éd. Cheyne)
« L’odeur du graillon, un titre comme ça, a priori, peut sembler ne pas annoncer un livre de poésie. Ah, certes, ce n’est pas du Bobin. Mais tant mieux ! C’est la rue qu’explore Rémi Letourneur (« dehors / c’est la loi qui le dit / interdit de s’en... »
Franceska POLLOCK : Ferdinand des possibles (éd. Verdier)
« Les rencontres déterminantes produisent toujours des métamorphoses sur les vies. Ferdinand, polyhandicapé, muet, sourd et presque aveugle, diagnostiqué sur le tard d’un syndrome aussi rare qu’envahissant sur le plan physique et psychique, rencontre… »
Laura TIRANDAZ : J’étais dans la foule (éd. Héros-limite)
« Making of & spoiler de cette chronique. / Je rêvais de chroniquer un livre que je n’aurais pas encore lu, un livre les yeux fermés, d’un bleu prémonitoire, gouttelé ou vérolé au tout premier abord, fantasmé à l’instinct. Je rêvais ni plus ni moins de… »
D’ISTANBUL À RIO (4 coups de cœur de lecture en domaine étranger) :
Dorothy B. HUGHES : Un homme dans la brume (éd. Payot & Rivages)
« Le narrateur, un ancien pilote de la RAF, tente de devenir écrivain à Los Angeles : il vivote grâce au prêt d’un appartement et à l’argent que son oncle distille au compte-goutte. Il passe ses journées à rôder, observer les femmes et boire. Un soir, il… »
Neama HASSAN : Sois Gaza (éd. des Lisières)
« « Écrivez sur Gaza / Il ne restera peut-être plus que nos noms sur vos écrans ». Depuis le 7 octobre 2023, Neama Hassan écrit de sa prison à ciel ouvert. Sois Gaza, injonction née de l’urgence à témoigner, journal de survie, se compose de… »
Abdellatif LAÂBI & Yassin ADNAN : Gaza / Y a-t-il une vie avant la mort ? (éd. Points)
« Lutter contre un génocide, c’est aussi sauvegarder la culture que l’État génocidaire cherche à anéantir ; lutter, c’est aussi lire. Nous devrions toustes lire et nous passer de main en main ce livre qui s’élève en plein massacre, en plein silence du… »
Aidan TRUHEN : Allez tous vous faire foutre (éd. Sonatine)
« Jack Price est un garçon aussi organisé que dénué de morale. Comme il est également conscient qu’on n’a qu’une vie et que celle-ci est courte, quand commence ce livre où c’est lui qui raconte avec toute la faconde d’un teigneux qui s’adore (« Ce… »
DI(S)GRESSION (carte blanche sur un domaine de création autre que la littérature) :
Alexis GLOAGUEN : Humble sous le ciel : Anita Lane
« Il est difficile de dire d’où venait le surnom d’Anita Lane, Dirty (« La Sale » ou, dans un langage d’un autre siècle, « La Souillon »). Toujours est-il qu’elle le revendiquait, ayant nommé son premier album solo Dirty Pearl (« Perle sale »). Aucun désir d’une vie relâchée pourtant. Elle… »
DYSCHRONIE – saison 11 :
Jean-Marc FLAPP : Été 2025
« 1er mars : C’est l’anniversaire de ma mère : ce devrait donc être la fête… mais elle est morte l’an passé (qui en a été très affecté) et je regarde en boucle la vidéo virale de l’ahurissante braque de ce pauvre Zelensky par Trump et Djaydee Vance dans le… »