DISSONANCES #46 FRAGILE

mai 202464 pages / 8 euros
mise en images : Édith LANDAU

ÉDITO : VOLUTES DE VULNÉRABILITÉ

Passent sur la page des enfants harcelés, une jeune femme enceinte et son carton à pizza, le bambou et les nuages, des vieillards émouvants, un verre brisé à la cantine, un oiseau prudent pour un haïku farceur, passent des corps qu’on aimerait moins anonymes, passent le cancer, l’émotion, l’humour, le travail de l’écriture, la mémoire, l’addiction. Passe la vie, en somme, dans ces textes que nos dix-neuf auteurs ont ciselés avec délicatesse pour des joies simples ou un bricolage plus compliqué.

Mais qu’y a-t-il de plus fragile et immense à la fois que la lumière ? Quoi de plus mystérieux, émouvant, parfois effrayant que cette lumière qui caresse les bords du monde, s’infiltre dans les paysages, effleure les corps, voile et révèle ? Une lumière qui murmure le temps et ses fantômes, l’horreur et la beauté. C’est tout cela et plus encore qui traverse les photographies d’Édith Landau dont le travail accompagne magnifiquement ce numéro.

Alors fragilités, cassures, incertitudes, faiblesses, inconsistance, précarité, légèreté, vanité, tout est empoignade de vent dit l’Ecclésiaste. Il nous plaît de croire que ce vent qui emporte les mots et les images vous fera vous envoler avec nous.

JC BELLEVEAUX

DOSSIER « CRÉATION » : FRAGILE

Anna AYANOGLOU  : La moindre brise
« Vous n’avez pas idée du poids de ma douleur – dépression / terme creux, ne dit rien de l’altération / rien du crâne plein de représailles / de l’ombre encollée dans la gorge / – tout l’intérieur, en fait : un portrait / de Bacon : -, -, -, /          Parfois / je me… »

Jean-Christophe BELLEVEAUX : presque fanée
« une fenêtre grande ouverte / des restes (de repas d’illusions de santé) / des traces de poussière sur les meubles / une auréole de crasse noire aux ongles / aussi des crabes morts sur les plages / taches d’encre / brûlure au pouce et à l’index de la… »

Damien BIANCO  : Ma langue est fragile
« Je n’ai jamais – vraiment ! (ehmerde, ça commence…) – réussi / à cons[partout, des parasites s’insinuent !]truire une / (je n’y arriverai / jamais, je n’y arriveraijamais, je n’y arriverai / jamais…) phrase correctement ; ou / plutôt : mes (à qui appar[rien n’… »

Marc BONETTO : Châtiment de l’idiot
« Dans le train Anvers-Bruxelles, cette fillette au rire innocent, spontané, lumineux, je l’imagine adulte, indigne de l’enfant qu’elle est, je la vois cadavre, oubliée de tous, après une vie douloureuse, triste, médiocre, ratée, malheureuse. / Elle coiffe le… »

Jean-Paul BOTA : Avril-cancer
« L’église Saint-Germain de Gagny / C’est dans le voisinage d’un Taxi de la Marne / Qu’embaument les senteurs du restaurant d’en face / Et celui-là encore de la Maison de Campagne de Gossec / – Où il composa la Marche lugubre ? / La visite de Gossec au…

Dominique BOUDOU : Manipuler avec précautions
« Une goutte d’eau glisse sur le comptoir dans le souffle moite des lampées de bière les mains pendent le long des corps comme de mauvais linges un brin de lumière papillonne autour des yeux puis s’éteint quelques mots chuintent au fond des gorges la nuit n’… »

Antoine BRAZIER  : Discours métaphysique
« Il se peut, dis-tu, que revenir en arrière soit possible ; à l’état des assiettes non-brisées mais simplement fendues, à l’état des néons non-éteints mais clignotant seulement, à l’état des fleurs non-fanées mais à peine flétries. Et, ajoutes-tu, que peut-être… »

Benoit CAMUS : Monsieur Rêve
« Lui, là, le vieux au costume jauni, complice de fastes années, à l’élégance surannée ; / au pantalon trop large, déformé, qui s’avachit sur ses chevilles, fronces en accordéon, qu’autour de sa taille amaigrie, cérémonie machinale, il relève, il re-sangle ; / à la… »

Francis CARPENTIER : Tchip tchip
« l’oiseau des haïkus
a rangé les éléphants
loin des… »

Daniel CHARLES : Éphémère
« La tige du bambou s’élève, ne cesse // Je ne cesse, vers les nuages / (les nuages) // Ma respiration s’apaise et faiblit, ma respiration faiblit // L’impermanence – la maladie disent-ils, la faiblesse // Le bambou lui-même devient sec et cassant, vieillit // Qu’est-ce que… »

Alain GÉRARDOT-PAVEGLIO : Qui vive / vieillesse grande
« 1 / Leurs vies à un fil, tendu à chacun de leur pas, à mesure qu’ils avancent, / tiré à peine plus loin que le pas qui va suivre au-dessus du temps : / il ne s’égrène pas, s’accumule devant eux, / chaque chose à faire n’est plus une marche avant la suivante / (les… »

Pierre GONDRAN DIT REMOUX : les joies simples
« tu as creusé dans la forêt une tombe / pour tes joies simples // elle est toute petite, toute ronde, /
ne se voit toute pas // tu as recouvert le fond de mousses / et de feuilles de châtaignier encore vertes et odorantes / (à l’odeur de feuilles sèches de châtaignier) // pour… »

Jen HENDRYCKS  : Les vies graciles
« janvier 2024 _ Elisabeth _ 59 ans / Carpentras, Vaucluse, dans une rue sous couverture sans souffle un corps de froid. // janvier 2024 _ Philippe _ 69 ans / Boulogne Billancourt, Hauts de Seine, dans un local au matin un corps verdâtre. Une autopsie dira. // une… »

Nathalie PALAYRET : Cette gare-là
« Sur le quai de cette gare-là / Si près de moi / – en équilibre sur la pointe des pieds / bras étendu et les doigts aussi / j’aurais pu peut-être simplement / effleurer la chair de son bras // Une jeune femme enceinte / – cela se voit déjà / mais le terme est encore… »

Théo PERRACHE  : Les petits pédés
« Maman est au travail. / Le hamster dans le micro-ondes. / Le chat dans le congélo. / Le chien dans le sèche-linge. / Le poisson dans les toilettes. / Et le petit frère sur le plan de travail. / Tout prêt à se faire cuisiner. / Tout prêt à se faire dépouiller. / Pièce par pièce. // Les… »

Jean-Pierre PETIT  : Fragilité du bricoleur
« Il y a mis tout son cœur, le bricoleur. Tout son savoir et son ardeur. Il a même un peu surdosé le ciment  : il faut que ça tienne ! Que ça tienne ferme, que ça défie les ans, voire les millénaires. Pas question que ça se casse la gueule, qu’un moellon vienne à se… »

Mehdi PRÉVOT : Allégorie d’une chute
« la force gravitationnelle est un effet d’attraction entre deux corps – l’attraction entre deux corps peut provoquer – et provoque dans la plupart des cas    l’effondrement    à court ou long terme – d’un des deux corps : celui le plus fragile / Dura lex sed lex : « … »

Cyril C. SAROT : Pas souvenir
« Je ne me souviens pas avoir déjà pondu un œuf. // Je ne me souviens pas être né sous Pompidou. // Je ne me souviens pas de mes professeurs d’anglais au lycée. D’allemand, de français, d’histoire-géo oui. Mais pas d’anglais. // Je ne me souviens pas avoir vu… »

Stéphanie VERMOT-PETIT-OUTHENIN : Oui mais
« Un jour pendant des vacances j’étais petite je crois / j’ai posé un seau à l’envers sur une araignée noire Ne voulais pas lui faire de mal Sa vue me faisait peur Oui mais Pas question de l’écraser / Oui mais / Savoir qu’elle était là / Que je ne pouvais pas l’approcher La tuer L’… »

IMAGES : Édith LANDAU

« Édith Landau, née le 21 octobre 1973, est une photographe plasticienne française. Née dans une cité ouvrière proche de Paris, elle grandit dans un environnement familial confus. Confrontée à la violence et à la détresse sociale, elle observe, subit et va développer face à… »

RUBRIQUES « CRITIQUE »

DISSECTION (24 questions à un.e auteur.e connu.e) :
Jacques CAUDA

« Votre ego de poète vous gêne-t-il pour marcher ?
J’ai aussi de beaux pieds de cochon (gênant pour marcher itou) pour faire écho à ce qu’un critique a laissé entendre dans un mensuel à propos de mon roman Florbelle (éditions… »

DISJONCTION (4 regards croisés sur un livre remarquable)  :
Le chien des étoiles (Dimitri ROUCHON-BORIE)
« Dimitri Rouchon-Borie propose, pour son deuxième roman, un train-trip aux côtés des marginaux : Gio, un gitan au crâne cabossé par un tournevis et à la naïveté lyrique, Papillon, un muet presque sauvage, Dolores, une adolescente qui n’existe qu’à travers le… »

DISSIDENCES (8 coups-de-cœur de lecture en domaine francophone)  :
Amandine ANDRÉ
 :  Aberrants & dinosaures (éd. L’extrême contemporain)
« Et si Damoclès en plombant son fil d’une épée disait simplement : « c’est ça, aimer » ? Car on s’attache à un livre à si peu de choses : quoi, un œuf pixelisé en couv., bien trop vintage pour ne pas cajoler le dinosaure technologique que j’étais petit, justement ? Un… »
Béatrix BECK
 : Plus loin mais où (éd. du Chemin de fer)
« En 1997, âgée de 83 ans, Béatrix Beck signe une dernière œuvre romanesque au titre programmatique : Plus loin mais où. Réédité en 2024 aux éditions du Chemin de fer (accompagné de dessins de Vincent Bizien), ce roman est un… »
Lili FRIKH : Un mot sans l’autre (éd. Mars-A)
« Un mot sans l’autre est un livre fort, plus fort que le café le plus fort, parce qu’il ne triche pas : sur le divan du psychanalyste-poète-écrivain Philippe Bouret, Lili Frikh nous donne en moins de cent pages les clés qui ouvrent grand les portes de son… »
Marie-Hélène LAFON : Les sources (éd. Buchet/Chastel)
« Lire Les sources c’est plonger (être happé) puis remonter, en trois parties-paliers, trois actes/moments-clés de plus en plus récents et de plus en plus courts (1967 : deux jours / 70 pages ; 1974 : une nuit / 30 pages ; 2021 : moins d’une heure / 6 pages), de… »
Philippe MALONE : Richard IV (éd. espace 34)
« Des acteurs vieillissants endossent les costumes de personnages de Shakespeare. Ils ont abandonné l’idée de révolutionner le théâtre. Richard, lucide et résigné, abandonne même l’idée du pouvoir pour le laisser à ses pions, Buckingham et Norfolk. Anne a… »
Quentin MARGNE : La célébration du lézard (éd. Le Soupirail)
« Sous l’égide de l’auteur Antonio Moresco, ermite lumineux en butte au monde dévastateur, ce premier roman d’un penseur ébloui, en quête d’ailleurs et de sens face à notre débâcle, transporte, dès l’orée, dans une dimension à la fois… »
Sophie NAULEAU : Mais de grâce écoutez (éd. Actes Sud)
« La scène d’accouchement inaugurale, par temps de pluie et tant d’hostilité municipale à l’égard des parents de la narratrice, coupables d’une trompeuse activité commerçante, révèle sans attendre la langue précise et faussement ironique de ces… »
Laurence VIELLE : Billets d’où (éd. Le Castor astral)
« Billets d’où, billets doux. Et il en faut de la tendresse pour écrire comme ça, dans l’attention si précise de la poésie aux multiples provenances de Laurence Vielle. Dès le titre, les mots chuchotent, s’interpellent – turbulents, sarcastiques – et tout le… »

D’ISTANBUL À RIO (4 coups-de-cœur de lecture en domaine étranger) :
Rodrigo DE SOUZA LEÃO : Tous les chiens sont bleus (éd. Le Lampadaire)
« Incroyable texte que celui-là, où il est question de puce électronique avalée par l’auteur, d’un très singulier «  Redoutable Fou », d’hallucinations nommées Rimbaud et Baudelaire, ou du « Todog » (un nouveau culte). Tous les chiens sont bleus nous emmène à l’… »
An Antane KAPESH : Je suis une maudite Sauvagesse (éd. Mémoire d’encrier)
« Texte fondateur de la littérature innue, l’essai d’An Antane Kapesh constitue un témoignage rare et précieux sur la culture et la condition des indiens d’Amérique du Nord, ainsi qu’un réquisitoire implacable contre leur colonisation. À travers neuf chapitres thématiques consacrés à… »
Abdellatif LAÂBI : Anthologie de la poésie palestinienne d’aujourd’hui (éd. Points)
« Anthologie de la poésie palestinienne d’aujourd’hui est un livre important. Rendons hommage aux éditions Points pour cet acte fort. Dans la préface de cette troisième anthologie réunie par Abdellatif Laâbi, le poète évoque le « caractère d’urgence » de la publication. J’… »
David MITCHELL : Utopia Avenue (éd. de L’Olivier)
« Écrire la biographie vibrante d’un groupe rock-folk-psychédélique des années 1960 en le resituant dans l’histoire tumultueuse de la musique (on croisera donc, le plus naturellement du monde, Syd Barrett, Brian Jones, John Lennon, Frank Zappa, Jimi Hendrix, Janis… »

DI(S)GRESSION (carte blanche sur un domaine autre que la littérature)
Rodolphe VIÉMONT  : Jean-Louis Murat : une place bien à part
« Il ne se passa que peu de temps entre l’envoi du scénario par mon épouse et l’appel de Marie Audigier : « Jean-Louis a beaucoup aimé votre texte : peut-on se voir tous les quatre prochainement ? » / Cela faisait dix ans que Murat était au cœur de nos… »

DYSCHRONIE (saison 7)
Jean-Christophe BELLEVEAUX  : Hiver 2023
« 1er septembre  : La réforme des retraites entre en vigueur. Peu réjouissant pour les Français encore en activité qui voient l’âge légal de départ porté à 64 ans. Français, encore un effort si vous voulez être Républicains, écrivait Donatien Alphonse François de Sade dans un… »