DISSONANCES #47 | APRÈS L’ORAGE
Summanus
« Tu te souviens sans doute de la Louve, Andrea, ou de la stupeur de Méduse terrassée par Persée, mais te souviens-tu de cette galerie, sous les musées du Capitole, en descendant vers l’antique tabularium ? Nous nous sommes arrêtés devant cette inscription, Summanium fulgur conditum, que les Romains gravaient sur une pierre qu’ils enterraient là où la foudre était tombée. La foudre de Summanus, le dieu des éclairs nocturnes.
Tu ne pouvais pas le savoir, mais c’est pour cette inscription que je t’ai emmené au Capitole ce jour-là, pour que tu comprennes à présent ce que je vais te raconter, cet été-là au bord du lac où tu n’étais pas, Andrea. Mamie nous a rejoints piazza Venezia et nous avons marché jusqu’à Termini, nous avons mangé une glace, puis j’ai pris ce train pour le nord en espérant à chaque seconde que tu me pardonnerais.
Au lac, il y avait cette terrasse où Camillo et… »
DISSONANCES #45 | TOXIQUE
La galerie de minéralogie
« il y a devant la galerie
de minéralogie
toutes sortes de roses
extravagantes
comme des quartz
elles ont éclaté autour
de nous ces roses
silicates
ivres de leur barbante
perfection
le parfum de leur vie trop vive
nous intoxique
– comme… »
DISSONANCES #44 | SILENCES
Orphée aux alpages
« J’ai repris le chemin d’autrefois, tu vois.
Au printemps, les torrents se font gros, ils dévalent en bouillon vers la rivière. Jusqu’au mois de juin nous longeons des névés.
Il y a là une vue qui porte assez loin, par-delà la vallée, et jusqu’aux sommets d’un pays lointain. Au cœur de la journée, la brume remonte de la rivière, à flanc d’adret, et fait retomber sur les yeux du marcheur un voile de carmélite.
Il y a parfois des éphémères qui accompagnent mes pas ; ils disparaissent au creux d’un chemin, puis surgissent lorsqu’on s’y attend le moins. Leur langue est-elle inscrite sur les pierres, que j’interroge en vain ?
C’est un lieu, dans la montagne.
C’est un lieu dans la montagne où trois pierres plates… »
DISSONANCES #42 | CHAMPAGNE !
Marne
« … je t’ai suivie sous cette terre marneuse où s’étouffait le souffle des obus là-haut tout là-haut bien au-dessus de nos silhouettes en fuite, nous nous sommes blotties dans une alcôve dans un recoin de la cave, sa fraicheur l’odeur une tranchée immense et silencieuse, là-haut cela riait des dents de cadavres aux faces arrachées brillaient sous les lampions de cette nuit du mois d’août, nous étions seules au monde toi moi dans l’alcôve, je voyais à la lampe ton profil de vestale presque vierge et je me disais je me disais Putain comme elle est belle, je suivais la courbe de ton nez un peu pointu le cartilage comme deux ailerons mes fanaux à suivre dans la longue nuit, tu t’es raprochée je me suis blottie là-haut tout là-haut un boum boum d’artillerie faisait danser les verres et nous parvenait comme une rumeur affreuse, tes cils tes cils et le coin de tes yeux, tu as touché une mèche sur mon front le temps s’est immobilisé l’attente avant l’assaut avant l’effondrement du monde sur nos têtes, tu m’as dit Attends j’avais le souffle coupé tu t’es levée tu as couru dans ces rayons ces rayons de milliers et milliers de bouteilles et j’ai pensé Non ! puis Reviens ! mais je n’ai rien dit pas bougé j’ai eu peur que tu me trouves… »
DISSONANCES #38 | FEUX
L’écluse
« de ta lucarne Salomé
je te vois peindre les feux
qui illuminent le canal
tes feux glissent au loin
sous les ormes déchirés
par le silence et la nuit
les barges à leur sillon
fissurent d’ocre-roux
les eaux noires de l’écluse
et soudain du chemin de halage
s’élèvent les herbes hautes
et la carcasse des… »
DISSONANCES #37 | IMPUR
Cairn
« « Il n’y a qu’un seul chemin… Du vallon, la route bifurque, celle qui vient de… c’est par là qu’il est arrivé. » Il est arrivé de son pas égal, habitué aux pierres à la montagne aux caprices du terrain aux accidents et il a vu la fille, de dos les bras menus croisés sur la poitrine et sa longue, unique tresse pendue dans les fougères, immobile comme sur les routes de certains pays ces amas de cailloux qu’on appelle des cairns, elle a eu un frémissement d’animal traqué, sans bondir rien seulement la tête un quart de tour et ce regard qui transperce la bure, une respiration tout-à-coup silencieuse, lui la dépassant sans ralentir de son pas égal toujours, comme s’il n’avait croisé là qu’une souche perdue dans les feuilles basses.
« C’est le père qui l’a reçu, il l’a mis au travail, derrière la maison, dans la poussière de ce plateau crayeux où le vent… » Par la porte le jour déclinant sur les dalles sur la table, la table inamovible massive celle sur laquelle toute la maison a dû naître, on y voit encore dans le soleil couchant mais à peine et il est bien temps de souper, le moine penché lapant la soupe auréolée de lunes grisâtres glissant sur les blettes tièdes, lapant au rythme de son pas de marcheur, s’… »