DISSONANCES #26 | ANIMAL(S)
La grande profondeur
« Un singe ou un ours ? Elle le regarde depuis un moment et elle se demande : un singe ou un ours ? Ou bien peut-être un gros chien, tout simplement ? Un gros chien sans queue ? Où est ta queue, gros chien ? Où donc est ta queue ? Ce serait une jolie entrée en matière, ça, certainement, de lui parler de sa queue. Son absence de queue. De là on pourrait aborder tous les sujets possibles : on s’empiffrerait de petits fours en parlant coccyx et autres sphincters.
Dès qu’elle est apte physiquement, quelques jours seulement après sa naissance, la reine est poussée hors de la ruche pour effectuer son vol de fécondation.
Un singe ou un ours. Elle le regarde depuis un moment. Elle attend. Singe et signe, inversion de deux lettres. Autour d’eux c’est le brouhaha des inaugurations, ça glousse, ce glapit, ça caquète en tous sens. Comment il fait pour tenir sa flûte de champagne dans sa grosse patte velue ? On dirait qu’il la tient le plus simplement du monde, entre deux doigts. Il la porte à ses lèvres barbues, couvertes d’un épais duvet, puis la fait passer délicatement d’une main à l’autre, comme un petit bijou, une chose précieuse qu’on lui aurait confiée mais à laquelle… »
DISSONANCES #24 | LE MAL
Blue Monday
« C’est à cause des néons. Ou bien est-ce l’odeur de soupe ? Elle n’en est pas très sûre. Il lui est difficile de supporter cela physiquement. Difficile d’être présente chaque jour. De faire comme si tout allait bien. Tout ne va pas bien. Elle aimerait en être capable. Elle aimerait sourire, répondre du bout des lèvres, sans effort, décrocher le téléphone tout en pianotant avec légèreté sur son clavier. Elle aimerait être satisfaite de son poste de jeune cadre. De ses vingt-deux jours de congés payés. Elle aimerait être cette personne-là. Une jeune femme bien contente de son joli salaire et de ses chèques-repas. Une jeune femme sans acouphènes, sans insomnies, sans vertiges, qui virevolterait de réunion en réunion, comme un papillon rare et coloré.
Elle n’est pas cette femme-là, n’a jamais pu endosser ce rôle plus de quelques mois. Toujours il arrive un moment où ça frotte, où ça coince. Au début ce n’est presque rien, elle ne s’en aperçoit pas, puis soudain apparaît la goutte qui s’échappera du vase, survient ce jeudi soir où immanquablement elle rentrera chez elle, accrochera son… »