CLEMENCI Jean (extraits)

DISSONANCES #33 | FUIR
Évitement (stratégies d’)
« Je t’aperçois soudain. Tu es pourtant encore loin (tu sors de cet immeuble à une centaine de mètres sur ce trottoir où grouille (tourbillonne, s’éparpille) une centaine de gens) mais à peine apparu au bout de cette foule tu m’as sauté aux yeux et je t’ai reconnu.
Toi tu ne m’as pas vu : tu es tout à tes pensées tout en les évitant (je te connais par cœur : tu es comme ça tout le temps) car comme tes actions, tes sensations, ta vie, tes pensées te précèdent et tu ne sais pas mieux faire que les sentir fuser et leur courir après, même si tu essaies (mais y crois-tu vraiment ?) d’en attraper certaines pour donner à tout ça un peu de sens enfin, ou de stabilité (le temps de te poser : juste un peu profiter), mais tu manques d’énergie et l’une chasse l’autre sans que tu en arrêtes aucune, elles glissent entre tes doigts, elles courent devant toi, te tiennent à distance et, t’échappant, t’entraînent (décident de tout pour toi) puis de toutes façons quand elles se posent d’elles-mêmes et t’attendent un peu (comme si tu finissais par leur faire pitié) tu te mets à flipper car tout ce qui t’oblige à faire face à toi-même te met en perspective dans ton rapport au monde et c’est si peu brillant (si proche du néant) qu’à peu près tout de suite… »

DISSONANCES #32 | NU
Nerfs à nu

« Au revers de ta peau je planterais mes crocs et baiserais tes os (si ce n’est pas abuser) sans même t’éveiller (nous serions nus bien sûr)
note 1 : Peau : carte parcourue sans relâche avec l’envie de s’égarer encore.
note 2 : Parenthèses : murmures des inaccessibles, hésitation lente de la bouche et des doigts.

Là je suis devant toi, debout, blanc de poussière, nu bien sûr (je m’égare) : ton regard me traverse et autour il n’y a rien (nous ne sommes pas là)
note 1 : Les veines des amants charrient un sang blanc ; il irrigue les moindres parcelles de leurs territoires. Le blanc est la couleur des vertiges qui entraînent la chute des corps l’un dans l’autre.
note 2 : Là (déictique) : espace-temps enclos dans la parenthèse des corps.

Tu flottes nue (en croix) et tournes sur toi-même (lentement, lentement) dans de l’espace blanc : je calcule ton orbite et mets tous mes espoirs dans l’attraction des corps
note 1 : Dans une première version du texte, le poète avait écrit : « Nue, tu flottes dans de l’espace blanc : je lis à même le grain de ta peau les constellations », la dernière phrase étant… »