THIREAU Philippe | Melancholia

Coup-de-cœur de Tristan FELIX pour Melancholia de Philippe THIREAU
DISSONANCES #38

« te raconte cette histoire ma belle mort crachant des cailloux en place de mots ». Ainsi s’ouvre en jactant cette courte pièce qui narre en trois actes la fin de l’histoire (sans je) de deux belles âmes, le soldat et la fille violette. À la fin, le grand oiseau planeur régurgitera la mort du soldat à coups de glotte. L’absence de je interroge sur notre propension à basculer dans un trou : il devient réserve mnésique alors même qu’il se perd à écrire. Ce vide est le berceau du soldat incapable dans son vrai
trou d’obus de rejoindre la fille violette. De n’être plus énoncé il s’enfante et s’enfonce en l’être aimé. Il se meurt d’éclore en son corps de papier – n’est-ce une lettre tombale de soldat ? De même que ce lézard tendre et flippant faufilé dans l’encolure vers la chair tuméfiée et souillée, je erre dans un no man’s land et son dernier souffle exhale l’histoire de sa mort in vivo. Aspiré par sa mort il s’en remet corps et âme à celle qui l’attend. Elle-même amputée de son je patiente en racontant l’enfance et son désir monstrueux, tout pareil vautrée dans un corps boueux – le sien, celui de l’autre ? Prise en sa chair qui naufrage, elle dégoise, lucide : « tu as aimé une pute morte misérable
trognon de chair ». Tous deux objets l’un de l’autre conjuguent leur débâcle en cours et leur mémoire, refont l’amour, mêlent leur sueur d’écriture. J’ai été remuée par cette étrange pâte à
clamer, portée aussi par son rythme fugué, enchâssé, heurté, où souvenirs, éléments et humeurs, la noire surtout, se mêlent. Une ponctuation fruste la scande – évidence du carmen rude de qui lutte contre l’ensevelissement. L’originalité de ce texte tient en son pouvoir de rendre lyrique et homogène un chaos de personnages à la dérive – qui dis-loquent.

éd. Tinbad, 2020
52 pages
11,50 €