Coup-de-cœur de Jean-Marc FLAPP pour Les portes de Thèbes de Mathieu RIBOULET
DISSONANCES #38
« Le seize septembre deux mille un, mon père, franchissant les grilles de l’hôpital où un diagnostic de cancer, pronostic deux ans, venait de lui être posé, me dit : « Aujourd’hui ton grand-père aurait eu cent ans et ta grand-mère est morte depuis cinquante ans […] » : ainsi cueilli d’emblée, c’est en pleine connaissance du rôle qu’y tiendront le Temps et le Néant qu’on entre dans ce livre comme au Royaume des Morts (dont il est une entrée) qu’a rejoint Riboulet en 2018. Chant d’outre-tombe donc (écrit l’année d’avant) mais aussi cri de rage, d’horreur, de compassion, ces « Éclats de l’année deux mille quinze » s’inscrivent dans la ligne autobio-politique à haute tension lyrique qui était devenue depuis quelques années une des marques de fabrique d’un auteur flamboyant qui savait là, les écrivant (l’urgence y est donc palpable encore plus qu’avant), qu’il n’écrirait rien d’autre que ces derniers fragments où se croisent et s’imbriquent (se mettent en perspective) un homme qui se meurt, ce monde en convulsions, le crime colonial, la folie religieuse, le sexe (magnifique), les mythes (le Tragique), et l’énergie solaire de la Révolution. Tout cela s’incarnant (prenant corps que l’on touche, qui s’ouvre et où l’on plonge) dans cette langue unique plus que jamais scandée, d’ample palpitation, grave et incandescente, là plus brute sans doute (de n’avoir pas pu être jusqu’au bout affûtée ?) mais « il faut bien, aussi, que des mots soient mis sur les choses, surtout celles que l’on tait ou qui trop fort nous blessent » et même si le Temps ici aura manqué, c’est une fois encore de très haute volée, urgent, poignant : très fort.
éd. Verdier, 2020
50 pages
12,50 €