PONTHUS Joseph | À la ligne

Coup-de-cœur d’Isabelle GUILLOTEAU pour À la ligne de Joseph PONTHUS
DISSONANCES #37

Avec ce journal intime poétique, Joseph Ponthus, éducateur devenu dépoteur de chimères, égoutteur de tofu, découpeur de porc, nous immerge dans son quotidien d’intérimaire, en écrivant comme il travaille, « À la chaîne, à la ligne », en vers libres et sans ponctuation, pour « raconter le travail dans sa plus banale nudité ». Ici, l’usine impose son rythme à l’écriture et «  le besoin d’écrire s’incruste tenace comme une arête de poisson ». Pour survivre, il faut rire, « de non-sens et de bulots », convoquer les poètes, et tenter de poétiser en cet univers déshumanisé : « Quelle poésie trouver dans la machine la cadence et l’abrutissement répétitif ». Pourtant, la « magie de la servitude volontaire » opère, et la fulgurance des vers révèle la beauté paradoxale de l’usine : « Dans cette nuit sans fin éclairée de néons blafards sur les carreaux blancs des murs les inox des / tables de travail les tapis mécaniques et le sol marronnasse / Dans des animaux morts qu’on travaille à longueur de nuit de matin / Aucun oiseau ne vient jamais par une ouverture dérobée s’introduire dans nos ateliers / Les seuls animaux vivants sont les rats qu’on combat près des poubelles extérieures / Nos gueules sont des portraits d’Otto Dix / Nos corps sont des atlas de troubles musculo-squelettiques / Nos joies sont de petits riens / Des bouts d’insignifiance qui prennent sens et beauté dans le grand tout le grand rien de l’usine ». Et c’est avec raison que l’auteur cite Pontus de Tyard, son ancêtre, « dont deux vers s’accordent si bien avec ces feuillets d’usine », long poème sobre et poignant : « Qu’incessamment en toute humilité / Ma langue honore et mon esprit contemple ».

éd. La Table ronde, 2019
264 pages
18 €