MAUBERT Jean-Michel | Décombres

Coup-de-cœur de Tristan FELIX pour Décombres de Jean-Michel MAUBERT
DISSONANCES #42

Décombres, livre ensorcelant, profondément mélancolique, habité de maintes présences qui vont et viennent, centrifuges et centripètes, réelles et chimériques, bâtardes, indécidables bien qu’intimes, plonge dans un état hypnotique, une catalepsie littéraire. Il se vit en abyme : on y entend des voix témoigner, des voix chanter, des dessins apparaître, on assiste à des spectacles de cirque, on visionne des séquences de film. Maubert fait vivre une rare expérience de vagabondage en des temps parallèles et entre des arts complémentaires. On se retrouve complice plus que voyeur d’un univers polymorphe sui generis bien que pétri de références consubstantielles à la Mitteleuropa : Kubin, Schultz, Kafka,Trakl, Brauner, les frères Quay, mais aussi Browning, Béla Tarr… Les trois novellas qui constituent ce recueil sont les strates d’une même histoire aux excroissances siamoises. Chaque figure officie au cœur de scènes obsessionnelles et fantasmatiques qui sont autant de rituels de mort, entre magie noire et magie blanche : images de bêtes suppliciées transportant sur leur dos une créature en détresse, des gueules cassées et masquées soignant ces mêmes bêtes torturées, des bourreaux pourchassant des monstres sans défense, des créatures en gésine dans un sac, dans une boite, dans leur crâne, dans leur ventre, dans leur propre mort. «  Il avait en outre réussi à contaminer cette langue trempée dans la mort (dans la sciure à cadavre et les détergents) avec les rythmes vivants-discordants de la ville, et elle avait dans certains de ses éclats une sonorité de cocaïne et de jazz, elle était brutale et expressive comme une balle de révolver et portait le chagrin d’une rose mourante ».

éd. de l’Abat-Jour, 2021
265 pages
10 euros