HUGUES Laurence | Pas vu Maurice

Coup-de-cœur d’Alban LÉCUYER pour Pas vu Maurice de Laurence HUGUES
DISSONANCES #37

La lecture de Pas vu Maurice s’apparente à une forme de trébuchement doux, de chute alentie qui dépose sans heurt les souvenirs d’un temps pas si lointain, calme sans être trop silencieux, quand Marie vivait dans sa maison du Haut-Forez, en Auvergne. C’est là que la vieille dame remplissait, à raison d’un par an de 1987 à 2000, de petits carnets dans lesquels elle consignait la substance de ses jours d’une écriture invasive et débordante : « Beau. Brosser. Repasser. Cousu. Fin des choux. 2 pompes cerise. Marie Noirétable en moto. Beurre. Ramoner le poêle. » La vie quotidienne ne conjugue pas les verbes, ne souffre pas les mots de liaison. Elle s’étire au rythme des visites de Maurice, le neveu qui vient bricoler et offrir sa compagnie, ou qui ne vient pas. Laurence Hugues, qui a grandi dans le voisinage, s’empare de ce trésor de moments minuscules pour dresser l’inventaire d’une fin de siècle qui coïncide avec l’achèvement d’une époque, celle de l’enfance, de quand il y avait encore du miel, des insectes et des oiseaux, des pommes ou des coings à ramasser à la fin de l’été. « En cherchant des photos du village, j’ai retrouvé un papier avec l’écriture de ma mère, au stylo à encre bleue. / Je suis morte le / J’ai été incinérée le / Ni Dieu ni maître / On peut remplir les blancs. Ou plutôt non. Pas vraiment.  »
Les photographies de Claude Benoît à la Guillaume accompagnent le texte en disant délicatement le fragment, le morceau d’existence, toute chose qui finit par transformer la matière de l’ordinaire en acte poétique.

éd. Créaphis, 2018
138 pages
9 €