Coup-de-cœur de Nicolas LE GOLVAN pour Données complémentaires de Johan GRZELCZYK
DISSONANCES #43
Page 30. J’ai aimé assez de toi pour déjà t’aimer tout entier, même si ton ambition n’était rien moins que de tout raconter, de moi : « une histoire très vraie qui témoigne d’une fréquentation assidue de l’incompris. » Tu n’es pas un poème « barbarisme », plutôt un roman total, embrassant le mythe grec et le quelconque ffp2, le sexe et la mort : « les doigts prêts à traire pénis et à tâter de la plainte des pleureuses. » Et déjà, je t’ai tant corné qu’il me semble t’avoir cent fois fait l’amour, en répons religieux à cette (splendide) prière : « baise-moi ».
Après, je t’ai suçoté léger, sans repasser mon doigt ni forcer l’affect, pas « professionnel » du tout, mais en intimité, pour ne pas t’aimer trop en exhaustif : le piège, tu sais bien. « objectif numéro un. ne pas. ne pas redevenir comme on est, on ne l’a déjà que trop été. objectif numéro deux. il n’y a pas d’objectif numéro deux. »
Car toi, tu demandes le lâcher-prise réservé aux vives expériences de voix (Molly Bloom), où le décousu apparent de motifs reconnus (George Floyd ?) aurait sacrément manqué au récit de ma propre existence. « on perd toujours quelqu’un dans le contre-feu de nos évidences. » Au passage, j’ai rarement vu une telle chimie entre un texte et son blase éditorial : Ni fait ni à faire ? Oui, c’est bien cela l’amour, cet entre-deux désarmant. La littérature aussi, parfaitement. Tu as la dynamique rare d’une conteuse qui perd ses enfants sans jamais leur lâcher la main, juste pour « vocaliser les appels au secours ».
Je t’ai aimé dès la page 30 et c’est maintenant assez de t’aimer, sans « table des matières incertaines ». Tu sais bien, l’amour… « tout ça c’est simplement affaire de prosodie. »
éd. Ni fait ni à faire, 2021
103 pages
10 €