Coup-de-cœur de Jean-Marc FLAPP pour Au pays de la fille électrique de Marc GRACIANO
DISSONANCES #37
« Putain j’y crois pas, dit l’homme en se donnant des gifles légères, comme pour vérifier qu’il ne rêvait pas, regardez la jolie pute qu’on s’est dénichés là, […] », et vingt-cinq pages après (d’un « Prologue » effroyable fait d’une seule phrase aussi limpide et fluide que sont abominables (limite soutenables) les horreurs qu’elle décrit) : « […] qu’est-ce que tu veux qu’elle dise, il affirma, elle sait pas qui on est ni d’où on vient et vu son état elle se souviendra de rien, […] et tous partirent en laissant la fille seule dans le noir. » et là, si le lecteur a surmonté l’épreuve (ce mot n’étant ici nullement exagéré : jamais rien lu de tel – d’aussi traumatisant – sauf parfois chez Selby), il y a une ellipse et l’on retrouve la fille ailleurs et bien plus tard seule et très amaigrie et dont les vêtements se sont beaucoup usés, et qui est devenue un peu comme une bête qui aurait été battue et se serait enfuie, marchant le long des routes et dormant dans les bois et se lavant sans cesse très délicatement comme une petite chatte qui aurait été blessée, rencontrant des humains que sa beauté étonne et qui pour la plupart sont tout prêts à l’aider mais elle poursuit sa route et traverse leurs vies parce qu’elle va où elle doit et que c’est plus fort qu’elle qui ne peut donc tarder, de sorte que le monde la regarde passer « sans rien faire ni dire mais en clignant doucement et éperdument les yeux » et, s’ouvrant devant elle, il la mène avec nous au terme du voyage qui nous est dévoilé dans un court « Épilogue » qui est une apogée qui laisse sidéré… et tout cela narré dans cette langue magique et de haute volée (ample, millimétrée, sensorielle, hypnotique) qui est comme l’adn de l’œuvre de Graciano. Bref c’est hallucinant (et ce livre est très grand).
éd. Corti, 2016
160 pages
19 €