CAZA Philippe (extraits)

DISSONANCES #41 | OPIUM
Cléopâtre, l’ours et Sarah

« Elle s’appelle Cléopâtre (par erreur car elle est anglaise). Elle vit dans une belle villa de style Art Déco nommée Charybde au-dessus du lac de Côme. Des mois auparavant, sous un prétexte charitable mais mensonger, elle avait fait sortir dans la rue les propriétaires (un couple d’ours
des Carpates) et avait collé à chacun une balle dans le cœur. Personne n’avait protesté, personne ne les avait pleurés : ces ours byzantins sans laisse et sans collier sont une espèce mal aimée. Depuis, une nuée de mouches lui tourne autour de la tête vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Quelques-unes s’installent autour de ses yeux, comme du khôl, buvant ses larmes impudiques. Elle en mange parfois, dans ses crises d’entomophagie. Mais le plus souvent, pour les faire fuir, elle allume une longue pipe à fourneau sculpté en tête de pie. Elle y fume des boulettes d’opium, fragrant délice. Son manque d’expression, sa neutralité, marque son absence d’individualisation, d’ego, et sa non-adhésion au monde, au réel. C’est comme si elle ne participait aux choses de la vie que par hasard, comme par inadvertance. N’être ni sujet ni objet.
Sarah, elle, a tout pour être objet. Objet perdu, même. Elle est muette. Elle vit dans… »

DISSONANCES #40 | CONFLITS
Le mur invisible

« « Les Fluxmols de la nation Fluxmoline appartiennent à la famille des nénufars (anciennement nénuphars). » Wikipédonculia
Ce jour-là, Nyarfon errait lamentablement le long de la frontière obvile à la recherche d’une occasion de. Seules des marques au sol discrètes, des pointillés, indiquaient la présence d’une frontière. Un léger changement de couleur, aussi, au-delà des pointillés, sans plus. Pourtant on ne pouvait pas transpasser. Un champ électromagnétique ? Une clause extradimensionnelle ? Un mur invisible ?
– Ah bon, c’est donc comme ça, un mur invisible ? s’étonnait Nyarfon.
Nyarfon était un Fluxmol hybride à tendance idéaliste. Pour une part, il était dans l’incertitude, et se disait que l’approximation avait quelque chose de plaisant sur le plan esthétique. Pour une autre part, il était bien forcé de constater que la frontière était bien là, infrangible et infranchissable. En principe. Il laissait glisser une de ses calicules (une sorte de pseudopode monopérianthé) le long de la surface verticale invisible infranchissable qui… »