LABAUNE Philippe (extraits)

DISSONANCES #39 | DI(S)GRESSION
Je fais du théâtre nu
« Elle demande pourquoi de la poésie au théâtre ?
Je lui réponds je fais du théâtre nu. Me fiche de la poésie. Son cortège de poses précieuses et de codes désuets. Chercher un au-delà. Une nudité de la langue. Des textes-matières qui défont le confort formel et disent une inquiétude, une hésitation, un équilibre précaire entre « le son et le sens ». Des langues étrangères, déplacées. En territoires limitrophes, en lisières. Parfois des langues sans paroles.

Trace 1 le chemin et dedans la ruine les arbres morts dans la maison pièces d’automne les pas dans les feuilles j’écoute le froissement d’une femme et tant de femmes l’une derrière l’autre la mer en désordre dans le grand salon où rien à peine une chaise ça frotte et glisse défilent les fantômes main dans la main les yeux dans les cheveux sept notes pas plus ça démarre je coupe je reviens anna soror rampe dans tes bras longue diagonale de douleur et rampe encore et mange les feuilles et ton murmure et sept notes pas plus je coupe ton… »

DISSONANCES #38 | FEUX
Chant de la meute
« tout ce qui était stable et solide part en fumée c’est la nuit le feu la foule les enfants une ligne de corps fins et droits chacun suspendu dans la marche trente enfants en capuches le visage de mon frère les portes se ferment je brûle la nasse les vestes les cagoules blocs de sensation ça déambule sur fond de flammes et vapeurs et le vertige du chaos les horizons épuisés ce qu’il y a dans l’air sauve qui peut la vie je chante je prononce la nuit la rue nos vies valent plus que leurs profits je brûle le monde ou rien seize ans les mains les poings dans les poches en paix et lovés je ne calcule plus rien je brûle que se passe-t-il donc ooooh combien tu veux laisser dans le zef la vie que t’auras pas je marche je brûle rythme de croisière belle inconnue demoiselle en poster si elle m’aime devant le mur de flammes noires et jaunes et nuage ou rien ou la misère pas la peine de réfléchir pour quoi faire lécher le feu avec nos langues d’enfants je brûle oh ma misère est si belle je ne crains rien plus rien tu sais je brûle étouffé par le temps les sensations de mon corps sous la cagoule je brûle l’éducation je mange le feu noir de l’essence des tôles des plastiques la joie c’est la vie je rêve je brûle ni retraite ni paradis parler aux nerfs au corps aux… »

DISSONANCES #35 | LA HONTE
Solemnia
« Ogresse cyclope qui se tut si longtemps tu sais ce qu’il y a dans un silence quand tu montes les marches vers sa grotte de peau et de fumée tu entres tu as reconnu sur ses lèvres le sourire du père tu soulèves le drap de petit Monsieur le 6

A vif dans l’air et la lumière crus de la chambre le demi corps nu du jeune petit Monsieur le 6 exposé tu regardes le trou que tu viens de creuser pour toujours entre ses cuisses et ton oeil écrit H.O.N.T.E

Petit Monsieur le 6 ne plaisante pas il joue il cherche comment ça marche gonfle alors dans ses nuits cet infracassable noyau qu’il échappe du néant tu ne parles pas et tu sens bien que tu pourrais mourir de vouloir le dévorer entier

Petit Monsieur le 6 a douze ans et pense qu’il peut bien crever aussi s’il le veut tais-toi ou il voudra te tuer te prendre à la gorge serrer l’angoisse l’insupportable flux de ta parole étroite

Femme à l’œil unique comme sans corps matrice de fantômes ton regard évide ceux que… »