Coup-de-cœur de Laurent ALBARRACIN pour Le mur des souvenirs de Jan ZÁBRANA
DISSONANCES #39
Le ton des poèmes est écartelé entre un lyrisme désespéré et le prosaïsme de la réalité oppressante qui l’entoure. De ce tiraillement naissent les poèmes les plus sombres qui soient, éclairés par de constantes lueurs de rage. Comme si la pratique de la poésie l’aidait à tenir bon quand tout s’acharne et comme si elle était en même temps un exercice de lucidité âpre, acerbe, caustique parfois. La beauté des vers de Zábrana n’est pas là pour édulcorer une réalité misérable, mais elle vient éclairer vivement et violemment tel détail frappant afin de lui redonner son éclat de contusion, d’hématome symbolique. « Je ne supporte que les fous. Ils sont la moutarde de la terre. […] Elle a les cheveux attachés avec une rondelle à bocaux. » C’est la vie du poète qui est en jeu dans le poème : sa biographie dans son factuel le plus circonstancié, mais aussi la vie dans sa dimension existentielle qu’il s’agit de sauver, d’extirper de ce qui la rabaisse et parfois la révèle. Le recueil est alors un « livre des jobs ». Soit une chronique des maigres solutions qui permettent de continuer, de ces expédients qui rendent la vie supportable, de ces peu glorieuses débrouillardises sordides qui ponctuent le quotidien. Mais « livre de Job » tout autant, puisque le poème, empreint de la révolte la plus définitive, n’ouvre guère d’autre horizon que celui de la résignation, de l’acceptation d’un sort joué dès l’origine, avec cette habitude contractée dans le malheur d’en noter les ironies comme si précisément l’ironie du sort était un des paramètres de la condition humaine. Au « mur des souvenirs » tout est d’avance condamné mais il est encore possible d’en remarquer les pierres les plus saillantes, brillant d’un éclat noir, coupant, déchirant.
traduit du tchèque par Petr ZAVADIL et Cédric DEMANGEOT
éd. Fissile, 2020
110 pages
18 €