Coup-de-cœur d’Antoinette BOIS DE CHESNE pour Le cœur pur du barbare de Thomas VINAU
DISSONANCES #44
Thomas Vinau c’est à lire le matin, ou plutôt à chaque fois qu’on le lit on a l’impression que c’est le matin, un matin pas pressé ni insomnieux, un dimanche matin sans la messe peut-être, en tous cas un matin sans urgences, un matin de vacances. Voilà : lire sa poésie ouvre une vacance, un espace, une respiration. Un ralentissement. « Aussi étonnant / que cela puisse paraître / certains d’entre nous / n’ont rien à vendre ». Quelque chose s’est dessillé dans le sommeil, c’est peut-être que je suis myope et astigmate et presbyte. Sans lunettes il y a ce flou, cette hésitation, je me raccroche aux repères familiers le temps de remettre la main dessus. Et là, les choses sont à nouveau nettes car « Le monde se range très bien tout seul / L’ombre de la maison / sur le sol trace des traits / d’un côté la poussière / de l’autre / la poussière / il faut savoir être ordonné ». Le cœur pur du barbare, quand je le feuillette, y reviens, m’attarde sur de nouveaux poèmes – il faut le dire, les préférences (dans un recueil) sont variables comme les humeurs qui nous traversent, l’oracle des mots assemblés comme des cauris est mouvant mais toujours sûr – ma perspective du monde change. Sans grandiloquence. Le monde entre ces pages, oui, est fait de petits riens – tous les critiques s’accordent à ce sujet – ces petits riens essentiels qui, accordés entre eux, apportent une douceur, une camaraderie, une tendresse qui font que, relevant les yeux, on n’est plus seuls, isolés, mais reliés. Et ça, ce n’est pas rien, ou alors un rien taoïste, le chouïa qui manquait au jour avant de le lire : « Les vieux pensent que ses yeux sont des dents / on dit que dans les bois bistres / de la forêt du coin / un cerf fou / mange le velours du brouillard ».
éd. Le castor astral, 2021
256 pages
9 €