Coup-de-cœur de Jean AZAREL pour Meseta / Le plateau de José VIDAL VALICOURT
DISSONANCES #41
Ce recueil de prose poétique bilingue nous sert – sur un plateau – un texte d’une puissance rare, écrit pendant une dérive de l’auteur en vieille Castille. Des phrases courtes, à bout de souffle, rythment cette errance psychogéographique à travers « des esplanades de plomb que personne ne traverse à l’exception des mouches qui écrivent leur prose sur le jaune dément. » À la fois peinture (« n’oublie pas que le soleil s’est allumé dans les yeux de Van Gogh ») et images de film, on pense à « Paris, Texas » de Wim Wenders : « Le livre se détruit à mesure qu’il s’écrit » comme les pas du marcheur s’effacent sur le sol sec. Le langage est ici affecté – et désaffecté – par le territoire qui l’asservit autant qu’il le libère : « le mot tombe de son propre poids », obligeant à « soulever le poème du sol, réanimer les mots pour qu’ils ne se pétrifient pas. » Le mélange alchimique de l’air, de la terre, du feu du zénith, conduit au déréglement des sens et de la pensée. Le marcheur s’en remet à des « délires moléculaires » pour trouver son oued : « une femme va s’offrir. Elle te dévoilera sa géométrie. Son point d’humidité. » À l’instar des romans de Thomas Hardy, le paysage façonne les êtres, les sentiments, non sans accorder un espace de grâce : « Cette aridité n’est pas un manque, c’est une offrande. La possibilité la plus pure. La solitude sans commerce, et juste une certaine douceur… Quand le regard frôle la communion. » Parvenu au bout du plateau, le poète poursuit sa destinée, usant de mots et signes connus des seuls initiés. « Dire : il n’y a rien. Lui dire à elle : je t’aime tant que je ne peux pas te voir. Dire aussi : nous nous verrons plus tard, en quelque lieu enneigé. »
traduit de l’espagnol par Gilles COUATARMANAC’H
éd. Atelier de l’agneau, 2017
76 pages
17 euros