DISSONANCES #30 | QUE DU BONHEUR !
Le Bonheur de Marcel Lherbier
« Elle s’avança sur le devant de la scène. Elle allait chanter. Son collier de diamants allait chanter. Son épaisse chevelure libre de Chine, ses lèvres rouges, sa peau blanche, son fuseau noir allaient chanter. Il y eut dans la salle à la nuit un ébrouement de poitrail d’oiseau. Parterre prestigieux, dont elle était le symbole. À quoi son assassinat devait mettre fin. Bien davantage qu’en attentant à la bassesse matérielle de leurs actes, n’est-ce pas en détruisant leurs symboles que vacillent les sociétés ? La main serra le révolver au creux de la poche, lorsque de sa gorge roulèrent les premiers grelots. C’était idiot. Et faire injure à Satie, que d’en appeler la rengaine chanson d’ameublement. Le front couvert de sueur, les yeux perdus au fond des yeux de l’autre perdus dans les cintres, l’homme n’en était pas moins à cet instant au milieu de la grotte d’Aladin. La peau des doigts brûlait de frotter l’arme comme une lampe. Geisha de cire / ce qui la fait fondre fait jouir / teint sable mouvant / filigrane du levant / l’appellerai :… »
DISSONANCES #26 | DISGRESSION
Chroniques cinéma
« Après A serious man, les frères Coen reprennent à nouveaux frais l’expérience de pensée connue sous le nom de « Chat de Schrödinger » et que le physicien autrichien avait non sans ironie présentée ainsi : « Dans une chambre forte, placez un chat, ainsi qu’un atome radioactif qui a une chance sur deux de se désintégrer dans l’heure qui suit. Ajoutez un flacon d’acide cyanhydrique relié à un dispositif brisant le flacon dès la détection de la désintégration. Au bout d’une heure, l’atome est dans un état de superposition de deux états, désintégré et non désintégré. Du coup, il en va de même pour le chat, à la fois mort et vivant. » La perversité sardonique des Coen n’ayant pas de bornes, à la double superposition, ils ajoutent un état : le chat n’a jamais existé. Le « chat », dans ce film, c’est le folk-singer Llewyn Davis. Son existence est une succession ininterrompue de voyages en boucle encombrés ou non d’un vrai chat, de tours de chant rondement menés jusqu’au bord d’oreilles ennuyées, distraites, blasées, jamais il n’y tombe ou mal. Il est tout à la fois l’agent et le jouet d’une ronde sans joie ni écho qui avec le temps a l’allure d’un garrot. Lorsqu’à la fin de Inside…, le jeune Bob Dylan, encore… »
DISSONANCES #26 | ANIMAL(s)
Le loup
« Missouri, sud-ouest, plateau de l’Ozark.
Un bois – plutôt, un ossuaire de chênes et de noyers – hauts épouvantails de calcaire ligneux et tendre que le vent glacial balance au-dessus de l’écureuil – confondu avec l’écorce grise dont il est, alternant le vif et le mort, la griffe rétractile.
Une maison – aux airs de casse domestique – épaves et ferrailles automobiles, au gré de l’herbe pisseuse – nul ne fait la part de l’utile et de l’inutile – depuis que plutôt que de s’exposer au grand jour, tout passe au tamis de la poussière – qui de la pauvreté orpaille le repos.
Une présence – des hommes et des femmes qui attendaient le loup – avec ferveur, depuis l’enfance – et qui par défaut, de vieillir, s’enlaidir, l’ont inventé – le lycanthrope est un effet d’absence – il se présente sous bien des traits, le loup garou – mais n’exulte que... »