Coup-de-cœur d’Isabelle GUILLOTEAU pour Où j’apprends à ma mère à donner naissance de Warsan SHIRE
DISSONANCES #39
« J’ai la bouche de ma mère et les yeux de mon père ; sur mon visage ils sont toujours ensemble. » Ainsi s’ouvre le recueil de Warsan Shire, sur la tonalité charnelle de ces poèmes nourris des récits d’une mère à sa fille. Ils nous racontent des histoires de femmes qui existent par leur corps (émois amoureux, ébats, abus sexuels, coups…) et font entendre la voix d’une femme africaine sensuelle, débordante de désir, mais aussi dominée par la violence des hommes. Car très vite, la candeur initiale est supplantée par la brutalité : « le premier garçon qui a embrassé ta mère a plus tard violé des femmes au moment où la guerre a éclaté ». Cette alliance entre sensualité et violence, qui fait la force de l’écriture, culmine dans l’histoire de cette femme trompée, s’immolant sur le corps de son mari lors d’une dernière étreinte ; et elle ressurgit jusqu’à l’ultime poème, « En amour et en guerre », par la formule équivoque : « À ma fille je dirai : quand viendront les hommes tu t’incendieras ». La guerre est d’ailleurs omniprésente, et la femme violentée devient l’incarnation des violences faites aux migrants : « Je veux faire l’amour, mais j’ai les cheveux qui puent la guerre. Je veux m’allonger mais tous ces pays sont comme ces oncles qui te touchent quand tu es enfant et endormi ». Ecartelé par les hommes, à la dérive entre deux continents, le corps devient porte-parole des exilés : « Ta fille a pour visage une petite émeute / ses mains sont une guerre civile / un camp de réfugiés derrière chaque oreille / un corps jonché de choses laides. ». On a alors envie de s’exclamer avec cette voix féminine : « vois-tu comme elle porte bien le monde ! »
traduit de l’anglais par Sika FAKAMBI
éd. Isabelle Sauvage, 2017
38 pages
16 €