REYES Alina | Poupée, anale nationale

Regards croisés sur Poupée, anale nationale d’Alina REYES
DISSONANCES #28

zulma 2

Jean-Marc FLAPP :
Une qui fait non
C’est une drôle d’héroïne et une narratrice rare, cette Poupée (jolie ? puisqu’elle nous le dit…) : épouse d’un leader de parti d’extrême-droite qui a comme elle en haine « les bounouilles, les négrichons, les youplaops, les gnangnanquoués, les marxistics, les maçonnics, les politics, les médiatics, les artistics, les sidatics », bloquée et se vautrant (pas seulement en mots) niveau sado-anal, en lutte avec son corps (se lavant et vidant obsessionnellement), horrifiée à l’idée de concevoir un enfant (« Ya des ventres pour ça. De femmes, de brebis, j’en sais rien. Mais pas le mien. »), elle se découvre enceinte et décompense direct, éructant à la face du lecteur fasciné (amusé, dégoûté…) une logorrhée cinglée et très haute en couleurs, comique immédiatement mais vite plus seulement, éclaboussée qu’elle est de phantasmes masochistes, peurs de petite fille et autres faits atroces parmi lesquels fausse-couche, meurtre au ciseau à ongles, extase coprophage… et ça va loin, de fait : « Je sors monembryon de mon soutien-gorge, et je le tends au chien. Enfin il s’intéresse à moi. Il approche sa gueule de ma main, l’attrape, et le boufduncoup. »), ce qui fait de ce livre, beaucoup plus qu’un pamphlet (qu’il fut assurément), en plus d’un coup de maître en matière stylistique, un extrême d’érotisme transgressif et violent à situer (carrément) du côté de Georges Bataille ou de Bernard Noël, l’humour en plus (énorme) et la palpitation : « Marimerdedieu, soipinée entre toutlépétasses et le fruit de tésentrailles fouteleu ma prière foutelaocu je sais pas la faire et je crèverai pas.  » Amen.

Côme FREDAIGUE :
La littérature à l’estomac (et en deçà)
Donner corps à la névrose, expulser le mal être qui colle aux tripes, ainsi pourrait-on présenter Poupée anale nationale qui recourt à une poétique scatologique épousant au plus près les sensations d’une ménagère xénophobe. Au fond, le roman ne peut susciter que deux réactions, le dégoût ou le plaisir régressif tendance pipicaca. Une scène du roman met en abîme cette ambivalence : la narratrice y avale goulûment le contenu excrémentiel des intestins du mari qu’elle vient d’éventrer, en une sorte de cannibalisme coprophage, offrant au lecteur un miroir de son propre rapport au texte. Les uns se boucheront le nez devant cette prose nauséeuse, les autres se pourlécheront, tétant avec délice le « toubonca qui lui coule aufondlagorge, épais et moelleux comme du miel ». Sans doute me dira-t-on que je n’ai rien compris au roman, que je ne perçois pas, derrière la provocation, l’analyse sociopolitique sous-jacente, qu’au fond, si j’avais chaussé mes lunettes lacaniennes, je ne serais pas passé à côté de ce pamphlet dévastateur. C’est possible, mais aborder un tel texte avec la froideur de l’analyste me semble nier le projet d’écriture lui-même, le neutraliser en faisant une allégorie de ce qui est avant tout sang, chair et merde. Je me réjouis du plaisir que certains prendront à cette lecture, car la littérature cela sert aussi à ça, jouir (et faire jouir) du mot sale, transgressif, même si, à titre personnel, je referme le livre comme on referme la cuvette, pour ne pas être incommodé de ce qui, à mes yeux, ne présente pas plus d’intérêt qu’un vomitif.

Anne-Françoise KAVAUVEA :
Rendez-vous manqué
Les œuvres d’Alina Reyes regorgent de tripes exposées, de chairs sanglantes, d’utérus gravides ou non mais qui s’emplissent d’un pénis, d’un fœtus, d’un olisbos, de sexes qui s’emplissent de sang, d’Eros s’effaçant devant Thanatos, de fureur érotique (ou plutôt pornographique) non dénuée d’exultation. Le féminin avec elle s’affranchit du romantisme de bon aloi associé à la littérature « de dames ». Poupée, anale nationale s’inscrit dans cette veine ouverte et paradoxale, puisque la sexualité s’acoquine au politique dans une fusion orgiaque et dégoûtante. A priori, ce pamphlet dénonçant l’extrême-droite à travers un récit grand-guignolesque était alléchant. Poupée, au corps de femme encagé puisque dans cet univers fasciste le monde appartient aux hommes, n’a pour se libérer que l’observation attentive des manifestations corporelles qui la touchent, et le langage qu’elle soumet à ce corps en apparente déliquescence. Pour son mari Primus, chef du « Tronc », parti extrémiste, le contact anatomique (il n’est nullement question d’amour) a pour unique objectif la procréation : origine de la rébellion de Poupée qui refuse d’héberger dans son ventre un « gniardon ». Déluge verbal supposé transcrire la bassesse d’une idéologie, le texte m’apparaît comme prétexte à une création langagière artificielle et sans véritable intérêt noyant le propos dans une sorte de folklore plein de poncifs. Non, Poupée, anale nationale ne satisfait ni ma recherche de liberté dans l’écriture, ni mon envie de découvrir enfin une satire percutante.

Julie PROUST-TANGUY :
Sulfurieuse
Poupée est l’épouse de Primus, le chef d’un parti d’extrême-droite, le Tronc. Rêvant d’être cheftaine « enpolitic » à la place de « Monmari », elle refuse de se plier à ses ordres matrimoniaux. Il est hors de question d’avoir un « polichineldanltiroir  » qui l’envahit et l’empêche de «  rester peinarde  » chez elle à envisager « le grand nettoyage » du pays, celui des étrangers, ces « nouvomorts » pleins d’un « soupçondmerd ». Il n’y a pour elle qu’un seul choix : les « aiguillatricoter », l’expulsion sanguinolente du « fruidemésentrailles », le meurtre scatologique d’un mari et de sa vermine embryonnaire… Réduire « toutenbouillie » ce réel pourri qui dysfonctionne autant que son traître de ventre mutilé.
Alina Reyes fait vomir la langue de son personnage et la fouaille pour en extirper le portrait d’un esprit étriqué. Il y a quelque chose de fascinant, dans cette novela qui tente d’avorter le fascisme de sa voix narrative et qui charcute de la merde idéologique sans parvenir à s’en débarrasser. Reyes a beau dépecer le verbe, celui-ci reste englué dans la charpie des opinions fétides de Poupée, voix « sulfurieuse » de « l’étron national ».
Et le lecteur de rester encrassé, égaré dans ce fatras de croyances ubuesques privées de l’hygiène du politiquement correct, sans trop savoir si Poupée a su le libérer, lui, du contenu sucré de ses convictions parfois trop rose-bonbon ou si, à trop vouloir lui enfoncer le nez dans son ventre écorché de mouche à merde, elle n’a pas tétanisé sa capacité à se détacher du corps monstrueux du texte pour mieux l’apprécier.

éd. Zulma, 1998
96 pages
11,20 euros