Coup-de-cœur de Sophie WESTENDORP pour L’odeur de chlore d’Irma PELATAN
DISSONANCES #37
En 1945, Le Corbusier invente le Modulor, une norme architecturale basée sur les mensurations du corps humain et censée assurer à chacun un confort optimal. Seul problème : le morphotype de base correspond à une silhouette masculine athlétique mesurant 1,83 mètre. Plusieurs projets naîtront de ce nouveau nombre d’or, dont l’unité d’habitation de Firminy. De ses 4 à ses 18 ans, la narratrice y enchaîne les longueurs dans la moiteur chlorée de « la piscine du Corbu ». Enveloppantes, maternelles, les lignes courbes du bâtiment sont les limites de son univers. Mais elle peine à y trouver l’harmonie et le confort promis. « L’idée est si belle. Le nombril à 113 cm du sol. Le corps de l’homme comme base du standard, de la norme. Tout dans la piscine est calculé comme ça : le banc du collectif à 43,2 cm du sol, c’est-à-dire la section du tibia idéal. […] Mais je me souviens de mes jambes trop courtes qui battaient l’air au lieu de toucher le sol ». Son corps change, s’étire, s’arrondit au fil des années sans se rapprocher pour autant du standard requis. En quelques chapitres haletants comme des longueurs de crawl, en quelques pages blanches où l’on reprend son souffle, Irma Pelatan nous raconte comment dans cette matrice standardisée en béton est née sa liberté, son refus de la norme mortifère. « On te dit « va à la piscine » et tu nages, tu es un bon usager, tu fais fonctionner la machine à habiter. Tu te soumets, te construis, tu acceptes le récit qu’on te fait, cet ordre du monde. » Même le meilleur des architectes n’y peut rien : la piscine ne sera jamais qu’une folle promesse de mer.
éd. La Contre Allée, 2019
80 pages
13 €