Coup-de-cœur d’Antoinette BOIS DE CHESNE pour Le ministère des contes publics de Sandra LUCBERT
DISSONANCES #42
Ce court essai salvateur, manuel de combat où Sandra Lucbert fait mouche à chaque phrase, se lit d’une traite avec jubilation. Ici sont démontées les unes après les autres les pièces de la machinerie du merveilleux rêve néolibéral devenu notre égarement quotidien. Ce conte raconté, asséné, répété au « peuple-enfant » dans tous les discours et mises en scène des dominants, ce conte hypnotique qui nous englue dans un jeu de dupes dont on aimerait pouvoir s’extraire sans bien savoir comment, le voici disséqué, exposé dans son obscénité crue.
Prenant prétexte d’une émission télévisée qui condense et réunit toutes les figures nécessaires au maintien de l’illusion de ce « cauchemar familier appelé désormais : vie publique », l’exploration de S. Lucbert touche l’ensemble des acteurs – État, BCE, sages et experts – engagés sur la scène du pouvoir. De la fermeture d’une maternité à Die aux arcanes de la finance européenne en passant par la Grèce mise à pied en 2015, la rouerie obéit au même principe, pas de dialogue : « La langue se charge du service d’ordre. Patrouilles intériorisées, insues ». Montaigne, Rousseau, Swift, Pascal, Lewis Caroll, parmi d’autres, sont les compagnons d’armes de cette normalienne agrégée de Lettres et titulaire d’un master de psychologie (Freud intervient aussi sur ce « rêve du capitalisme financiarisé » pour en traduire les « travestissements »).
Contre le langage économique dont le fer de lance se résume à « LaDettePubliqueC’estMal », contre cette « piperie de langage » qui nous sidère et nous rend impuissants, la voix précise, acérée, féroce et gouailleuse de Sandra Lucbert règle les contes/comptes et nous réveille. Chapeau !
éd. Verdier, 2021
138 pages
7 euros