Coup-de-cœur d’Alban LÉCUYER pour L’été selon Delphine d’Armelle LE GOLVAN
DISSONANCES #42
Une plage de l’île de Ré. Une jeune enseignante en week-end dans la villa familiale se rappelle son corps adolescent, « masse informe échouée sur le sable. Côté pile ou côté face, même allure. Aucune allure. Un long tee-shirt tentant maladroitement de camoufler les bourrelets, les plis, le gras, le flasque. Le répugnant. Épave gisant parmi [s]es semblables, les abandonnées. Celles qui ne prennent pas le large. Celles qui s’offrent sans pudeur au soleil et au vent et se font oublier des vivants. Les inutiles. »
Que fait-on de la chair héritée de sa famille, comment on l’essore, la compresse, jusqu’à ne plus se ressembler ? Bientôt il faudra subir l’anniversaire de la petite sœur, dix-neuf ans. La version parfaite de l’aînée, belle et mince, belle parce que mince, quand Delphine doit encore lutter contre cet estomac qui réclame de déborder. Le ressentiment et la jalousie viennent contredire la quiétude de ce début d’été. La saison ici n’est lumineuse qu’en tant qu’elle apparaît comme la surface négative d’une photo de famille éteinte, construite autour d’une figure maternelle glaciale obnubilée par la cadette. « Si maman ! Regarde ta fille aînée ! Dans son trente-quatre. Compte ses côtes sous le coton. Admire sa volonté. Écoute ses vomissements à travers la porte. »
L’été selon Delphine est un livre sur la domination : l’emprise du milieu, la tyrannie du corps qui dicte sa loi et, plus tard, celle d’un homme plus âgé qui s’immiscera entre les deux sœurs. En nous plaçant dans une position d’extrême proximité avec la voix intérieure de son personnage, Armelle Le Golvan nous entraîne habilement au plus près des failles et des désirs d’une jeune femme qui, à tort, croyait n’intéresser personne.
éd. La P’tite Hélène, 2017
160 pages
18 euros