Coup-de-coeur d’Isabelle GUILLOTEAU pour Un divertissement de Jean-Louis BAILLY
DISSONANCES #29
« Sa vie était finie mais il restait vivant ». Pierre, professeur de lettres, vient de perdre sa fille Lorraine. Décidant malgré tout de faire passer l’oral du bac, il vérifie l’apologue pascalien sur le divertissement : « L’homme dont le fils unique est mort, mais qui oublie son deuil en guettant un sanglier, c’est lui ». Pensant ainsi se détourner de sa douleur, il va replonger dans son passé, donc dans celui de Lorraine. Certes, le dialogue avec les élèves fait diversion au deuil et nourrit une critique acerbe de l’enseignement. Il donne aussi lieu aux tendres portraits de ces candidats en lesquels l’enseignant se reconnaît. Mais surtout, il fait resurgir l’absente au détour d’un regard : « En chacun d’eux il retrouve, même à l’état de trace, une fraction de ce qu’il fut, ou le reflet de ce qu’était Lorraine au même âge ». Hanté par une question (« À quel moment l’a-t-il perdue ? »), le narrateur dresse le constat de son imposture en tant qu’enseignant, époux, père, et se résume à « une paire de couilles qui a réussi ». Alors, chaque soir après l’oral, il poursuit seul son divertissement en écrivant des lipogrammes, à la manière de Pérec, qui construisit La Disparition sur celle de sa mère. Ainsi la Chanson du Mal-aimé devient celle du « Mal-aimant », miroir de l’échec car Pierre fut ce père mal-aimant qui « perdit celle qu’il prétendait sauver ».
Empreint de sensibilité et d’intelligence, ce roman écrit dans une langue admirable est une tragédie haletante où point l’humour poli du désespoir, un cruel divertissement qui ramène inéluctablement le narrateur à ce qu’il voulait oublier.
éd. Louise Bottu, 2013
195 pages
16 euros