Regards croisés sur Soumission de Michel HOUELLEBECQ
DISSONANCES #32
Jean-Marc FLAPP :
Pour faire un bon succès
Très malin, moche, sale con, parfait électron libre, l’homme Houellebecq me plaît… mais pas ce qu’il écrit : intrigué par le buzz, j’ai lu à sa sortie (il y a bien longtemps) Extension du domaine de la lutte que j’ai trouvé si chiant qu’à celles des suivants avant de retenter j’ai prudemment feuilleté à la table du libraire… et chaque fois reposé. Mais encore une fois le type me plaît bien et le thème de Soumission sentait assez le soufre pour que ce soit tout prêt à revoir mon avis sur Houellebecq l’écrivain que je me suis lancé, que j’ai lu (jusqu’au bout) ce qui s’est vite avéré (comme précédemment) être formellement aussi convenu et plat (« Elle se retourna, s’agenouillant sur le canapé pour examiner les rideaux. « Ils sont jolis » conclut-elle finalement ») qu’extrêmement cliché au niveau de la pensée (« Chinoises d’un sérieux réfrigérant […] Maghrébines voilées […] catholiques solidaires et tiersmondistes ») et narrativement parfaitement prévisible – même si intéressant. Comment se fait-il donc que ça vende à ce point ? C’est sans doute simplement qu’Houellebecq l’a composé d’à peu près tout ce qu’il faut pour donner l’impression au lectorat bobo qui achète ses livres (ou qui en fait la promo) qu’il n’est pas tant que ça politiquement correct : une dose de provoc (misogynie, cynisme et islamophobie – rien d’excessif bien sûr : c’est (au plus) énervant), une autre de culture un peu rare et réac (Huysmans comme ingrédient), une pincée de cul et une autre d’humour, touillées dans un bouillon de nihilisme mou (« rien que le mot d’humanisme me donnait légèrement envie de vomir ») et ça paraît tout bête… mais ça fonctionne très bien : Houellebecq connait la recette et sait faire la soupe (aigrelette et légère) qu’apprécient ses clients – à défaut d’être Huysmans, c’est un cuisinier doué.
Côme FREDAIGUE :
La possibilité du Nihil
« Ce livre est une saisissante fable politique et morale » annonce la quatrième de couverture avec un sens du slogan qui frise la publicité mensongère. L’argument politique – comprenez l’islamisation de la société – est si peu crédible qu’on se gardera de le prendre au sérieux : réforme coranique de l’Éducation Nationale, mariage pour tous polygame, phallodémocratie, tout cela sans que ni les intellectuels, ni les femmes, ni qui que ce soit d’ailleurs ne protestent, surtout pas les collabos socialo-centristes. « Ça me paraît énorme… » s’étonne le narrateur. Et nous donc. Quant au propos moral, il se borne à déplorer avec fatalisme la perte des valeurs dans la société de consommation. Comme c’est triste ! Heureusement le pseudo Des Esseintes trouvera chez les dociles envoilées le moyen de préserver son goût pour les plaisirs de bouche : la fellation et la cuisine de terroir. À croire que la soumission assouvit un fantasme encore vivace chez les nihilistes occidentaux.
Ne crachons pas pour autant sur ce roman qui comble magistralement les attentes de ses lecteurs surfant sur les peurs du moment avec ce qu’il faut d’humour (ne pas plomber l’ambiance), de références littéraires (de la profondeur) et d’érotisme subtilement relevé d’une pointe de poésie (bander avec art). Ajoutez quelques people et beaucoup d’ironie pour faire passer le tout et vous obtiendrez un récit attrayant, digeste qui ne manquera pas de susciter de belles conversations dans les cercles lettrés. La promotion aura d’ailleurs été à la hauteur de l’ouvrage sur fond de scandale avec en prime la gueule de l’auteur en Artaud de Prisunic.
Un achat parfaitement recommandable à se procurer en poche, à la Fnac de préférence.
Anne MONTEIL-BAUER :
Un roman de car-macron
Pour François, le personnage archi-principal de Soumission, tout tourne autour de Huysmans – « un ami fidèle » – et de la normalité de ses érections – « You-porn répondait aux fantasmes des hommes normaux, répartis à la surface de la planète, j’étais, cela se confirma dès les premières minutes, un homme d’une normalité absolue ». Après des études à Paris IV, il est nommé à Paris III « … un peu moins prestigieuse, mais située elle aussi dans le cinquième arrondissement ». Ses étudiant.e.s s’ennuient pendant ses cours et lui, en en sortant, se demande « en quoi les deux vierges en burka [peuvent-elles] être intéressées par Jean Lorrain, ce pédé dégoûtant, qui se proclamait lui-même enfilanthrope ? » Nous sommes en 2022, dans un roman d’anticipation donc, mais l’auteur, Michel Houellebecq, ne prend la peine d’aucune extrapolation sur l’avenir : les débats télévisés sont présentés par David Pujadas, le parti de droite s’appelle l’UMP, son ordinateur est un iMac 27, ses seules futurologies tournent autour de l’arrivée au pouvoir de la Fraternité musulmane, la France basculant dans un islam fait uniquement de prières, de repas halal et de femmes voilées, machines à assurer la reproduction, car « Pour eux, l’essentiel, c’est la démographie ». Les scènes de sexe sont émaillées d’inévitables fellations. Les phrases sont courtes, le vocabulaire emprunté aux conversations de comptoir : les questions sont « oiseuses », l’offre politique « médiocre », les femmes « morflent » après quarante ans, la musique « bouge bien », les métaphores sont quasiment absentes. C’est parfaitement calibré pour vendre.
Julie PROUST TANGUY :
Beaucoup de bruit pour rien
Michel Houellebecq a développé un art bien à lui : celui de faire passer un roman de gare pour un orgasme germano-pratin. Spécialiste du pétard mouillé, il tisse ici une toile politique sans épaisseur, gonflée par quelques effets de style qui pourraient faire croire à la profondeur s’ils ne masquaient pas aussi mal l’insuffisance de celui qui pose en penseur de la France de demain.
Pour produire un grand roman politique, il ne suffit pas d’agiter des sujets de polémiques (qu’elles touchent le milieu universitaire ou la possibilité de voir un président musulman au pouvoir) ou de constater les déficiences et turpitudes de l’humanisme libéral. De même, l’ironie ne peut pas être un signe d’intelligence et de perspicacité quand elle emprunte des chemins si convenus qu’elle perd en subtilité et en efficacité…
Que reste-t-il alors du texte ? Un bégaiement maladroit, se posant comme un anti-Zemmour, qui, en insistant jusqu’à l’écœurement sur les idées de décadence moderne et d’échecs (politiques, sexuels, culturels, éducatifs), ne produit qu’un pet littéraire désabusé essayant de se draper dans des attitudes nihilistes. Houellebecq se propose d’imiter un parcours à la Huysmans et n’offre qu’un roman bourgeois ankylosé balbutiant la désagrégation de l’Occident, le besoin forcené de croire et notre supposé besoin d’écrasement et d’intégration (la soumission annoncée par le titre).
Quand cessera-t-on donc de s’amouracher pour cet histrion, tout juste bon à mettre les pieds dans le plat des préjugés et à nourrir des buzz aussi flasques que le sexe de ses clones de héros ?
éd. Flammarion, 2015
300 pages
21 euros