Coup-de-coeur d’Antoinette BOIS DE CHESNE pour Toni tout court de Shane HADDAD
DISSONANCES #40
Toni tout court comme Toni pas plus que ça, comme une pas grand-chose mais un quelque chose tout de même, dans la gorge. « Toni se réveille un matin avec quelque chose entre le cœur et la gorge qui lui donne un air chagrin. Le matin elle est sensible. » Une pelote qui se dévide et l’emporte dans les rues.
Dans ce bref récit, Toni court à travers le jour de ses vingt ans. Ou plutôt c’est cette journée qui coule, s’égoutte en elle, reliant d’autres moments, éparpillés par diffraction. Kaléidoscope du passé pas si lointain, de la soirée de la veille, des trahisons, du match du soir.
Toni tient à la fois d’un Gregor Samsa en pleine métamorphose et d’une Alice groggy, s’inclinant aux impératifs des mange-moi, bois-moi, vomis-moi. Entre cancrelat et lapin fou, elle est agie par impulsions successives : son appartement, la rue, la fac, un restaurant, un parc, un festival, le métro, le stade.
Souvent heurtée – un vélo, une foule, blessée – un tesson de verre, elle prélève ses cadeaux dans son errance – un vieux gant, une photo. On suit sa trajectoire, tenue et scandée par le tempo de phrases courtes ciselées par les motifs-pivots entêtants, les incantations, les rappels, les échos fugaces. Les silences où s’engouffrent des voix fragmentées, polyphonie sertie dans le récit.
Tout court à Toni, par insistance, échos, aimantation, les bribes éparpillées et voletantes du jeu de cartes s’assemblent peu à peu : un sacré coup de poker pour ce premier roman, blason d’une écorchée de 20 ans dont l’enfance tire sur la manche : « Les yeux des enfants sont une drôle de chose. Ils savent sans nommer. Étrangement, Toni n’a rien perdu de son regard d’enfant. Mais elle ne le sait pas. »
éd. P.O.L, 2020
150 pages
17 euros