Coup-de-cœur d’Isabelle GUILLOTEAU pour Journal de prison d’Igor GOUBERMAN
DISSONANCES #42
« Exister prend sens dans l’acte de résister / A tout ce qui étrangle, à tout ce qui mutile ». C’est dans sa geôle de Sibérie que Yoann Barbereau découvre Igor Gouberman, écrivain dissident russe emprisonné en 1979, et décide de traduire ses vers qui le guident vers la survie : « En lisant un poète oublié […] / J’aperçois des mots qui sont comme des saluts / Adressés personnellement à moi par lui ». Ce Journal de prison, écrit dans une forme poétique inventée par Gouberman – le gariki – donne à voir les instantanés du quotidien de tout prisonnier : « En prison, pas la moindre obscurité / Même la lumière est tenue par l’ennemi ». Mais le ton mélancolique fait aussi la part belle à l’autodérision salvatrice : « L’interrogatoire a échoué / Et me voilà de retour sur mon lit de damné / Mes nerfs désormais pourraient au mieux servir l’art / Ils feraient d’excellentes cordes de guitare ». « Le supplice salutaire » du « recul pénitentiaire » est alors souvent propice à une méditation philosophique qui mêle l’oralité rustique à l’aphorisme : « Dans les caves de la vie, il est un vin raide / Que jamais aucun homme libre ne possède ». Et si ce livre s’inscrit dans la tradition de la littérature carcérale, en écho à Pouchkine, Soljenitsyne, Mandelstam, il révèle aussi cette voix singulière qui entreprend « d’aimer [sa] prison » pour faire de cette expérience une échappée onirique (« Je plains ceux qui n’ont pas goûté la prison / Ceux qui ne connaissent pas ses rêveries »), une condition « Pour encore ressentir / Ce bonheur à nouveau d’être vivant », et presque une chance : « La taule et ses voûtes sans bienveillance / Enrichissent hautement l’existence ».
traduit du russe par Yoann BARBEREAU et Mila MARININSKAÏA
éd. joca seria, 2020
106 pages
17 euros