GOIRI Jean-Claude | Tectonique de l’aube

Coup-de-cœur de Tristan FELIX pour Tectonique de l’aube de Jean-Claude GOIRI
DISSONANCES #41

Dans ce nouvel opus, il s’agit, à l’aide de la langue entendue comme corde, sangle ou rappel, de descendre dans ses failles les plus profondes afin d’en explorer les tremblements, les glissements, les subductions. Quand l’être menace de se rompre et qu’on a l’écriture rivée au corps, sa tectonique en appelle à toutes les mesures d’extraction des blocs. « C’est en traitant [le mot] dans son plus simple appareil que tu pourras construire la nécropole de cette monstruosité qui t’agrippe ». Becket, Juliet, la femme, la fille, je, tu, il, le grand Autre – toutes instances convoquées pour attester ce paradoxe : «  pour savoir vivre il faut s’être identifié durablement à la mort ». Le narrateur poète est à la fois le minéral et l’excavatrice ; il s’expulse pour se redensifier. Il explore sa carrière, avec force et minutie, désarroi et tendresse. Il doit ressaisir le monde qui se détache, s’inscrire littéralement dans le moindre de ses interstices : « figé dans la lumière / hormis les yeux, la langue / qui pousse vers le creux ». L’écriture, intermittente et dense mais sans cesse aux aguets, perfuse la vie dans la mort et, accrochée à sa propre extrémité, tente l’incroyable dont seule la littérature est capable : s’aliéner à sa propre liberté en interagissant avec toutes les formes de l’autre, fussent-elles des pans de soi qui dérivent. La perception du moi dans son altérité élabore comme une mystique immanente, propre à faire de la distance à soi une supraconscience salutaire. Il est enrichissant de lire Goiri qui toujours va à l’essentiel, ne se perdant jamais dans la babiole auto-fictive. Aussi la littérature devient-elle parfois « plus vraie que sa propre chair et que les os des autres ».

éd. Tarmac, 2021
60 pages
10 euros