Coup-de-cœur de Jean-Marc FLAPP pour Jérôme, tout au bord de Clotilde ESCALLE
DISSONANCES #48
C’est un drôle d’oiseau, ce Jérôme Veulin : échoué à la campagne – une campagne humide et inhospitalière où « la terre ricane et absorbe mollement » – il traîne à la Baudelaire sa tenace atonie entre la maisonnette où est morte sa mère et la ressourcerie où il s’est débarrassé juste après ce décès d’à peu près tous les meubles qu’elle lui avait laissés mais dont il ne peut pas, de fait, se séparer ; nourri par ses voisins qui ont un peu pitié de ce vieux gamin seul taciturne et paumé, hanté par son passé de théâtreux raté, d’amoureux fracassé, d’ex-jeune parisien qui y a cru un moment (ou fait semblant au moins) mais ne croit plus en rien (« il mesure ses ratages, ses vies avortées, ses vocations aussi farfelues que les élans d’un jeune chien »), il angoisse, somatise, rêve et écrit beaucoup, se couche dans la boue pour manger de la terre, reçoit parfois la nuit pour de tristes étreintes une vieille gamine aussi seule que lui, tente parfois le contact avec les gens du coin (séances drôlatiques de druidisme ou poterie) mais en vain chaque fois, s’enfermant peu à peu, de plus en plus profond, dans sa tête d’asocial que notre monde effraie qui n’est pas fait pour lui, qu’il regarde sans comprendre et que Clotilde Escalle dépeint en filigrane (babas néo-ruraux, notables, marginaux, quartiers pavillonnaires et zones industrielles mêmement tristes et laids… et ces « avions de chasse qui sifflent au-dessus ») avec une acuité, une empathie rageuse, une poésie crue (« sans fioritures ni poèmes ») qui n’appartiennent qu’à elle et prennent à la gorge, déstabilisent, sidèrent : parce que c’est ce que j’aime, je sors de ce plongeon en pure littérature, au plus profond de l’âme et de nos inquiétudes, aussi comblé que secoué.
éd. Fables fertiles, 2025
206 pages
18,50 €