DISSO #25 : CLARO | entretien intégral

Entretien avec CLARO (publié dans DISSONANCES #25)

Claro   CLARO (petit)

Ecrivez-vous plutôt pour ou contre, dans ou hors, malgré ou à propos de ?
J’écris contre, tout contre, contre la langue et tout contre la langue. C’est un tango satanique, et la piste de danse, comme la page, ne reste pas vierge longtemps.

Quelle est la part de la contrainte dans votre écriture ?
La contrainte est énorme, permanente, double : laisser passer les flux & les contrôler. La contrainte, c’est empêcher le langage commun de phagocyter le dit rare.

Que faites-vous quand vous n’écrivez pas ?
Je lis, je cuisine, je perds au Scrabble, j’admire mes enfants, je regarde Le Magicien d’Oz pour la centième fois, mais surtout j’embrasse ma femme.

Qui est votre premier lecteur ?
Ma femme. D’abord elle dit « wow », puis après elle dit « y a un ou deux trucs qui ne vont pas ».

Qu’est-ce qu’un bon éditeur ?
C’est un éditeur qui devine, propose, oriente parfois. Quelqu’un qui vous laisse également aller dans d’autres directions. Quelqu’un qui vous invite à déjeuner même quand vous n’avez pas de manuscrit à lui rendre. Quelqu’un qui a de l’humour – si votre éditeur n’a pas le sens de l’humour, changez d’éditeur.

Que diriez-vous à un auteur cherchant son premier éditeur ?
N’oubliez pas que c’est votre livre qui sera publié, pas vous. Votre éditeur devra être un vrai lecteur, pas un exégète. N’attendez pas qu’il dissèque tout. Et surtout, demandez-lui un bilan santé avant de vous engager dans une grande aventure éditoriale. On ne sait jamais.

Quelle fut votre première grande émotion de lecteur ?
Les Malices de Plick et Plock, de Christophe. La couverture était bizarre, on avait l’impression que les mots palpitaient. Depuis, je recherche toujours cette impression.

Que faut-il lire de vous ?
Aucune idée. Je pense que la meilleure façon de débarquer dans une œuvre, c’est de faire confiance à un ami qui l’a déjà visitée. Lui seul saura si ce voyage est pour vous ou pas. Mais lisez quand même CosmoZ, ça me fera plaisir.

Votre ego d’écrivain vous gêne-t-il pour marcher ?
J’ai l’orgueil de garder ma vanité pour moi. Ecrire, c’est avant tout apprendre à laisser l’ego au vestiaire. Et puis, pour écrire, pas la peine de savoir marcher.

Qu’est-ce que la poésie ?
C’est ce qui reste quand on a tout prosifié.

Trois œuvres qui vous ont sidéré…
Les Géorgiques, de Claude Simon. Le « Marat », de David. « Wozzeck », de Berg.

Qu’est-ce qui vous anime ?
La nécessité d’écrire pour intensifier le sens de cette nécessité.

Comment vivez-vous votre époque ?
Je la vois comme un grand supermarché aux rayons vides dont les néons clignotent au rythme d’une musique qui n’en est même pas une. Bref, j’attends les vandales.

Êtes-vous plutôt « jour » ou « nuit » ?
J’écris le jour, dès le matin, très tôt. La nuit, ma foi, je crois qu’il y a mieux à faire. Et ma femme est assez d’accord avec ça.

Où vous êtes-vous senti le mieux ?
Il m’est impossible de concevoir cette question au passé. Je suis étanche à la nostalgie.

Quelle femme auriez-vous aimé être ?
Louise Colet. J’aurais guetté le facteur tous les jours avec des frissons dans la nuque.

Qu’est-ce qui est pour vous véritablement érotique ?
Je ne vais quand même pas vous filer le 06 de ma femme, ne rêvez pas.

Quelle est votre plus belle réussite ?
J’ai deux grandes fiertés : savoir réparer des chiottes et ne jamais avoir eu de prix littéraire. J’ai trouvé d’ailleurs que les deux expériences entretenaient quelques liens.

Qu’avez-vous vraiment raté ?
Mon deuxième roman. Et une tarte au citron vert. J’avais mis les zestes mais pas le jus. La honte.

Qu’admirez-vous ?
Les gens qui n’ont aucun problème avec les « ouvertures faciles », les gens qui ne renoncent jamais, les gens qui me supportent.

Que vomissez-vous ?
La cuistrerie sous toutes ces formes et la poire williams à forte dose.

Où en êtes-vous avec l’utopie ?
Je la trouve un peu trop terre à terre.

Qu’attendez-vous des autres ?
Leur amour indéfectible. Qu’ils me rendent les livres que je leur prête. Leur sens de l’orientation quand on se promène ensemble. La démonstration régulière de leurs talents culinaires. Bref : leur amour indéfectible.

Quelle pourrait être votre épitaphe ?
« Pensez à faire une sauvegarde. »

Merci Claro.

BIO

CLARO est né à Paris en 1962. Après des études de Lettres, il travaille en librairie et devient correcteur pour différentes maisons d’édition. Il publie son premier roman (Ezzelina) en 1986 aux éditions Arléa et est aujourd’hui l’auteur d’une quinzaine de fictions. Il a par ailleurs traduit de l’américain une centaine d’ouvrages : Vollmann, Gass, Gaddis, Rushdie… Depuis 2004, il est également co-directeur (avec Arnaud Hofmarcher) de la collection « Lot 49 » au Cherche-Midi Editeur ; membre du collectif « Inculte », il tient régulièrement un blog littéraire, « Le Clavier Cannibale ». CLARO vit à Paris avec sa femme, la cinéaste Marion Laine.

BIBLIO SÉLECTIVE

Ezzelina (Arléa, 1986)
Livre XIX (Verticales, 1997)
Enfilades (Verticales, 1998)
Tout son sang brûlant (La Pionnière, 2000)
Bunker anatomie (Verticales, 2004)
Black Box Beatles (Naïve, coll. Naïve sessions, 2007)
Vers la grâce (Association minuscule, Miniatures, 2007)
Madman Bovary (Verticales, 2008)
Le Clavier cannibale (Éditions Inculte, coll. « Temps réel », 2009)
Mille Milliards de Milieux ([(Le Bec en l’Air éditeur)], 2010)
CosmoZ (Actes Sud, 2010)
Tous les diamants du ciel (Actes Sud, 2012)