Coup-de-coeur de Sophie WESTENDORP pour La condition pavillonnaire de Sophie DIVRY
DISSONANCES #28
Un poisson rouge dans un bocal, avec un couvercle. C’est ainsi que M.A. perçoit sa vie. M.A. c’est Emma évidemment, reproduction sans fin d’un modèle qui défie toutes les libérations féminines. Adolescente, M.A. est sûre d’une chose : elle ne sera jamais sa mère. « Sur ton lit tu feuillettes un magazine, gribouilles sur une page toujours les mêmes fleurs et penses à l’homme qui t’aimera toujours et ne sentira jamais la sueur. Tout est décidément trop petit pour toi ici, et dans ton corps enfoncé dans les méandres du lit tu te laisses prendre par des rêves de gloire ». Pourtant, brique après brique, M.A. va construire elle-même les murs de sa prison domestique. A coup de petites décisions raisonnables, de renoncements anodins, de rêves de bonheur conjugal et d’accession à la propriété : « Au moins on est chez nous, disais-tu, et c’étaient dans ta bouche des mots magiques. A croire que tu étais la première à faire cette découverte ; être chez soi ; la première à t’installer, défricher, planter, décorer ; oubliant que tes parents avaient déployé la même énergie. » Et soudain il est déjà trop tard, l’amoureux est devenu un gentil mari, la vie a reposé le couvercle sur l’aquarium. L’adultère n’y changera rien. Toujours les enfants, les listes, le bruit du réfrigérateur, le mari en pyjama. Et ce tutoiement entêtant par lequel Sophie Divry nous renvoie à nos propres rêves déçus : « Tu te demandais où était passée ta vie, ce vibrant souffle d’aventure qui t’attendait hors de ta chambre de jeune fille. »
éd. Noir Sur Blanc, 2014
272 pages
17 euros