DAGOGNET Luc | Scarborough

Coup-de-cœur de Justine ARNAL pour Scarborough de Luc DAGOGNET
DISSONANCES #48

Sur son lit de mort, une grand-tante transmet à son petit-neveu (le narrateur du récit) un vieux livre où des adolescent·e·s disparaissent en prenant leur envol depuis une plaque d’égout… et bientôt cette seconde fiction contamine la première, le narrateur se retrouvant tour à tour obsédé par un arpège, objet de mystérieuses coïncidences et sujet de cocasses amnésies : c’est qu’une « déchirure nette dans la toile du réel » a eu lieu, et Scarborough, nimbé d’une troublante magie, nous embarque dans les profondeurs de cette déchirure où plus les signes se multiplient plus le mystère s’épaissit. Le monde tout entier semble s’adresser au narrateur sans qu’il lui soit possible de déchiffrer ce qu’il s’agirait d’entendre (« Dieu que les hasards changent de forme quand ils regardent tous dans la même direction. ») mais plutôt que de rester la proie docile de l’inquiétante étrangeté qui s’est invitée dans son existence, il consent peu à peu à sa présence. Ici, les motifs narratifs se chassent et s’enchâssent comme des poupées russes : Scarborough est le titre d’une chanson de Simon et Garfunkel qui obsède le narrateur et ne cesse de faire retour dans son existence, mais c’est aussi le nom d’une ville où il va finir par se rendre pour tenter de saisir ce qui se passe et cela pourrait aussi être un borborygme produit par son corps en proie à des manifestations incontrôlables lorsqu’il lui arrive ce qui jamais ne se prédit : tomber amoureux. Ainsi et à peu près tout le temps, endroit et envers ne cessent de se confondre (un rituel d’exorcisme devenant par exemple un rituel d’envoûtement) et c’est sans doute ce qui fait la très grande force de ce roman : il ne cesse de nous emmener ailleurs que là où l’on pensait avoir posé les pieds !

éd. Do, 2025
184 pages
17 €