Coup-de-coeur d’Alban LÉCUYER pour La terre sous les ongles d’Alexandre CIVICO
DISSONANCES #29
Un homme prend la route, direction l’Espagne, ses banlieues ingrates, ses touristes low cost, ses aires de repos désertes. Ça ressemble à un go fast filmé à 2500 images/seconde, ralenti extrême. Le coffre est chargé, évidemment, et c’est ce qui justifie le voyage. Il n’y en aura pas d’autre, c’est déjà un retour. Le narrateur croise le parcours de son père, immigré pauvre échoué dans un Paris d’usines, d’arrière-cours bruyantes et délavées. La terre sous les ongles pose la question du rythme. Celui d’une fuite qui n’en est pas une, d’une course contre personne. Ceux des langues qui s’entrechoquent dans ce corps grandi trop loin, là où l’on apprend les mots comme on dresse un mur entre soi et les autres. « Accepter que le mur comporte des trous et même le vouloir. Combler les trous de la glaise, de la boue qui engorge ta bouche, montrer ce mur lorsqu’il est édifié et faire croire que tu as fait les trous exprès, pour le plaisir de les combler avec la glaise, avec la boue. » L’écriture frigorifiée d’Alexandre Civico traduit le positionnement au monde d’un personnage soumis à une gravité dangereuse, qui le condamne à une discipline permanente de l’instinct. « Monter dans la chambre sans un regard pour la réception. Enlever chaussures, pantalon, chemise, passer sous la douche. La flotte qui dégouline et qui t’arrache des yeux les images qui défilaient jusqu’alors. » Son monologue intérieur nous embarque dans sa paranoïa comme on fait monter quelqu’un de force dans une voiture, excitant habilement nos peurs, nos fantasmes, nos souvenirs imaginaires.
éd. Rivages, 2015
90 pages
15 euros