CALIGARIS Nicole | Les Samothraces 

Coup-de-coeur de Jean-Marc FLAPP pour Les Samothraces de Nicole CALIGARIS
DISSONANCES #33

On entre dans ce livre par la voix d’une foule (épuisée, obsédée) qui piétine et s’écrase sur un guichet fermé où peut-être obtenir (si on tient jusque là) le visa pour partir («  à chaque poussée, pousser […] pas perdre ses papiers. Se méfier. Vérifier. Constamment. Ses papiers. ») ; s’en distinguent bientôt – comme autant de solos d’abord vite couverts puis se développant – les voix propres de Sambre, Madame Pépite, Sissi, que leurs vies ont menées, pour des raisons diverses, à se rencontrer là puis suivre et faire corps dans le désir commun d’aller tenter ailleurs, coûte que coûte, d’exister ; et c’est donc sur ces chants (de la foule et des femmes) que Les Samothraces nous mène des bureaux (où ça bloque) au bus (où on s’entasse) pour rallier la frontière où se faire gauler, enfermer, renvoyer, voir tomber ceux qui lâchent, être de moins en moins, s’accrocher d’autant plus (« Nous sommes devenus des becs. Des mains : paumes et griffes. ») au hasard, à la chance, aux passeurs « en maraude » et « costumés de chic », au squelette suintant des cales du cargo où balloter terrées – plus qu’à trois maintenant – vers la nouvelle vie (s’accrocher à celle-ci)…
Porté de bout en bout par une langue crue, poétique, panique (« Nous sommes parfaitement invisibles, l’ombre et nous c’est pareil, nous avons appris ça »), quasiment prophétique (publié en 2000 au Mercure de France et devenu depuis d’une urgence absolue), bellement réédité au Nouvel Attila (l’ouvrage s’y déployant sur six mètres de long – le texte d’un côté, sur l’autre une «  Nuée » de plus de mille photos), Les Samothraces tape fort, qui se lit et s’écoute et se voit et se vit comme un De Profundis à très haute tension.

éd. Le Nouvel Attila, 2016
44 pages
27 €