Coup-de-cœur de Tristan FELIX pour Sol perdu de Philippe BARROT
DISSONANCES #37
« Santiago se saisit d’une lime et une à une effaça les lettres de la machine, les râpa jusqu’à la tige métallique. » Romancier, poète, chercheur, directeur de la revue Chroniques du çà et là et éditeur, Philippe Barrot sort un recueil fort original de quinze nouvelles dont la variété recèle une dialectique de l’ordre et du chaos. Un chaos vierge – de la marginalité native contre tout pouvoir et un chaos délétère – du dérèglement fatal d’un ordre autophage, révèle l’évidence de mécanismes viciés que l’écriture, à l’image parfaite de son propos, trahit par la poésie, l’ironie, la parodie, l’absurde. Le tout saisi entre deux nouvelles à bord d’une pirogue, fendant l’eau trouble d’un réel et d’un imaginaire mêlés. Chaque histoire, portée par un narrateur engagé ou témoin, décline le paradigme de l’impérieuse récupération du chaos par l’ordre : un délirant psychiatrique frappé par sa lucidité aveugle ; un maniaque guéri par l’assassinat de son docteur ; un hypersomniaque employé à dormir sous contrôle de ses rêves pour rentabiliser une entreprise fragilisée ; comment échapper à l’invasion pernicieuse d’une glycine par des algues tueuses ou récupérer au nom de l’art conceptuel bourgeois un écrivain lettriste fou, la violence urbaine ou des enfants difformes. Perspective tentaculaire, trompe-l’œil, stratégie, labyrinthe, mandala sont de ces mots qui ouvrent à une littérature baroque, fondée à s’extraire du vide conceptuel, à dire non à toute structure stérilisante. Alors « Les apatrides éperdus chantent le sol perdu », nostalgiques d’un trouble originel, d’une indifférenciation libre.
éd. PhB, 2019
160 pages
12 €