Coup-de-cœur d’Isabelle GUILLOTEAU pour Faiseur de miracles de Fadhil AL-AZZAWI
DISSONANCES #44
« Moi le magicien, agent des âmes errantes, moi le faiseur de miracles », ainsi se définit Fadhil Al-Azzawi, poète irakien exilé contemplant « le monde venu poser son cœur dans [sa] main / brûlant [ses] doigts / comme de la braise / scellée de sang humain / dans un écrin de cendres ». Parfois, on pense à Prévert quand il nous donne la recette du poème magique, qu’il évoque avec subversion un dieu dans les cieux mais pas dans l’annuaire, ou bien dans le regard enfantin porté sur son activité : « Mes poèmes sont des oiseaux / Dans un café / J’ai écrit un oiseau épicé / Et juste avant j’ai dévoré un poème / Dans un restaurant de poésie ». C’est une écriture souvent facétieuse, drôle, mordante, qui ne se prend pas au sérieux ; l’auteur « saisit les mots par la queue », joue avec les formes comme l’aphorisme ou le proverbe.
Mais au fil des pages « une lune noire s’ouvre comme une fleur solitaire », la mélancolie se déploie et les mots du poète pleurent l’enfant qu’il a été. L’imaginaire poétique se charge alors du poids cruel de la prison ; la langue crue et prosaïque dit le réel insupportable, la vie avec les rats – que seul le fouet du geôlier chasse des poches du prisonnier – le viol comme arme de guerre, la perversité du pouvoir qui vote « une loi obligeant les victimes / à payer au bourreau / les balles de leur exécution ».
Alors, dans la douleur du départ, de l’exil et de la survie, le miracle de l’écriture achève de s’accomplir : « Sur les oasis planent des oiseaux aveugles / et du ciel descendent des anges mourants / profondément nous pénétrons avec des mots brisés / sur les bouches des morts / Loin nous ramons / avec les mains tendues vers les vivants ».
traduit de l’arabe (Irak) par Souad LABBIZE
éd. des Lisières, 2019
152 pages
19 €