DISSONANCES #31 | DÉSORDRES
Conjugopathie
« Je te reconnais mais je n’en laisse rien paraître. Tu es l’homme avec qui j’ai arpenté l’ennui. Avec qui j’ai procréé et élevé, j’ai acheté et construit, j’ai dépensé et j’ai compté. Je n’aime pas ton regard compassionnel. Il sonne creux. C’est à toi que tu penses car il va te falloir affronter le monde avec à ton bras, une source de désordres incontrôlable. Je vais te soulager, nous détacher, nous désunir, t’affubler de prénoms étranges et saugrenus.
Le gérontologue nous a décrit le processus de détérioration de mon cerveau. Déjà la notion du temps s’effiloche et cela me réjouit. Je suis décidée à brûler les étapes. J’ai égaré les albums photos à la cave. Je sais qu’on m’imposera bientôt de les feuilleter pour vérifier que je n’oublie aucun membre de cette famille dont je suis responsable.
J’aspire à l’oubli de ma survie en milieu conjugal. Je voudrais renaître à l’âge du courage, celui où l’on sait s’enfuir. Où chaque nouvel amour se vit comme le premier et le dernier, même s’il ne dure que quelques secondes. J’espère que mon cerveau n’exhumera pas l’enfance, période de terreur. Je l’ai effacée pour survivre. Je voudrais qu’il... »
DISSONANCES #30 | QUE DU BONHEUR !
Adieu Stockholm
« Depuis des années il a éteint la lumière, fermé les volets et décidé que le bonheur, c’est non. Définitivement non. Il a lu Cioran et Schopenhauer. Il a débranché le téléphone et la sonnette de la porte d’entrée. Il s’est isolé méthodiquement. Il est sans famille et sans amis, il hait ses collègues et inversement. Il ouvrira uniquement à l’huissier ou aux infirmiers. Il vit avec des fantômes.
Pourtant un sourire s’immisce. Vite écrasé.
SYRIE PALESTINE EBOLA CURTIS COBAIN PHTISIE DAECH
Il lui faut réagir. Se remémorer les humiliations de l’enfance, l’adolescence toxicomane. Concours de quéquettes à la récré perdu. Mère adorée et haïe. Il a travaillé ses répliques. Il s’est taillé un uniforme de névroses. C’est le plus beau des costumes pour passer à la télé.
Fesses rondes. Seins blancs et lourds.
CORDE RASOIR TCHERNOBYL NAGAZAKI DACHAU DACHAU DACHAU
Ses lèvres rient à… »
DISSONANCES #29 | TABOU
Matrice en cage
« Accroupie dans la cour, elle récure un pot de fer.
La mère accompagne l’homme jusqu’à la porte de la chambre où l’attend le père. Il y est enfermé depuis le matin.
Puis elle entend une voix ferme qui prononce son prénom et elle va, en suspendant sa hâte, les rejoindre. Elle sait qu’il est venu pour elle. Elle a dit oui, elle le veut.
Née, dédaignée, déniée, négligée, utilisée,
Excisée, forcée, violée, engrossée, tétée,
Violée, engrossée, tétée,
Violée, engrossée,
usée, délaissée,
enterrée.
Dans la chambre, elle n’est jamais entrée.
Les persiennes sont closes sur le dehors.
Pas un mouvement d’air dans cette nasse où… »